dimanche 18 mars 2012

La politique de la ville n'a plus la cote


Banlieues : la politique de la ville n'a plus la cote


LE MONDE |  • Mis à jour le 
Par Sylvia Zappi


Dans le quartier du plateau des Malassis à Bagnolet en Seine-Saint-Denis, un immeuble de 36 logements réalisé par l'architecte Edith Girard.

La banlieue semblait avoir disparu des radars politiques. A moins de quarante jours du premier tour, Nicolas Sarkozy et François Hollande tentent de serattraper par une double visite thématique, vendredi 16 mars. Le premier se rend à Meaux (Seine-et-Marne) pour parler rénovation urbaine, quand le second se déplace dans le quartier de la Meinau à Strasbourg pour y tenir un discours sur lapolitique de la ville. Un rattrapage qui a du mal à masquer ce point aveugle de la campagne que sont devenus les quartiers populaires.
La présidentielle de 2007 avait vu pour la première fois les banlieues surgir dans l'agenda politique. Les émeutes, deux ans plus tôt, avaient rappelé brutalement l'existence de ces quartiers relégués. Nicolas Sarkozy promettait de les "nettoyer"pour répondre à la demande de sécurité. Ségolène Royal, candidate socialiste, avait senti le vent et, ne cessant de vanter "la formidable énergie" des habitants des quartiers, réussissait à redonner une assise électorale à un PS qui en manquait fortement hors des centres-villes.
"UN SUJET À RISQUES POUR LA GAUCHE"
Cinq ans plus tard, le panorama a changé. Peu de campagnes civiques pourinciter à l'inscription sur les listes électorales, peu de visites mettant en scène les candidats "à-la-rencontre-des-habitants-des-quartiers" et, surtout, pas ou peu de propositions spécifiques pour les banlieues. "Les politiques ont le sentiment aujourd'hui que moins on en parle, mieux ils se portent", remarque Didier Lapeyronie, professeur de sociologie à Paris-IV. A ses yeux, Nicolas Sarkozy n'a pas intérêt à s'y rendre par peur d'un accueil trop agité. "Pour proposer quoi, après toutes ses promesses et ses rodomontades ?", s'interroge ce spécialiste des banlieues. Quant au PS, "ses ténors n'y vont pas car ils ont peur que cela ne leur coûte des voix", tranche-t-il.
Un avis sévère partagé par Jacques Donzelot, sociologue de l'urbain. "C'est un sujet à risques pour la gauche. Dans le climat d'angoisse lié à la crise, toute sollicitude marquée à l'égard des quartiers est perçue comme une attention particulière en direction des immigrés et cela fait perdre des voix."
"Les immigrés, les quartiers, sont dans la campagne avec les discours anti-immigrés de Sarkozy. C'est même devenu une question de démarcation avec la gauche. Le problème c'est que la gauche n'en parle pas", renchérit Vincent Tiberj, chercheur au Centre d'études européennes de Sciences Po.
La gauche, représentante légitime des défavorisés, aurait déserté. "Dans les années 1980, la gauche était moteur sur cette question. On sent un essoufflement des politiques nationaux comme des élus locaux", raconte Maguy Bacqué, professeure d'urbanisme à l'université Paris-Ouest - Nanterre. Cette déconnexion aurait deux sources majeures. La première, sociologique : la gauche a peu de militants dans les quartiers. "Le PS y a perdu son ancrage et ses relais", remarque Rémi Lefevre, professeur de sciences politiques à l'université Lille-II. Avec son déclin électoral, le PCF n'y est plus guère non plus.
La seconde relève du bilan de la politique de la ville : depuis trente ans, les ministres comme les élus locaux tentent de répondre à la crise des banlieues par la rénovation de l'habitat et l'amélioration du tissu urbain. "Cela n'a pas résolu les problèmes premiers qui sont d'abord ceux du chômage et de la précarité", indique Mme Bacqué.
"UNE POLITIQUE TOTALEMENT CONSENSUELLE ET QUI, POURTANT, A ÉCHOUÉ DANS SON OBJECTIF DE MIXITÉ SOCIALE"
Pour beaucoup de spécialistes, la politique de la ville a servi de "cache-sexe"."Elle ne résout pas les problèmes sociaux mais elle rassure les élus car tout le monde a l'impression de "faire quelque chose" avec des réalisations visibles", souligne le sociologue Renaud Epstein. Mais le seul vrai succès de cette rénovation urbaine, à ses yeux, est "d'avoir fait sortir la question des banlieues du débat public" : "Comment la gauche peut-elle critiquer une politique que ses maires mettent en oeuvre ?" Le jugement est partagé par Jacques Donzelot : "C'est une politique totalement consensuelle et qui, pourtant, a échoué dans son objectif de mixité sociale et de mieux vivre."
A l'instar de l'association Ville et banlieue (lire ses propositions), le PS ne jure plus que par un mot, "les territoires délaissés", qui englobe les communes rurales pauvres. M. Hollande affiche désormais un objectif, le "droit commun", pour désigner son approche des quartiers. Il faudrait donc décliner, comme dans d'autres territoires, les politiques publiques de logement, d'éducation ou d'accès aux services publics pour résoudre l'exclusion territoriale.
"La politique spécifique de la banlieue l'exclut du droit commun, et ce n'est pasrendre service à ses habitants, assène Marianne Louis, responsable de la politique de la ville auprès du candidat socialiste. Quand on parle maintien de La Poste, quelle différence entre Evry ou une ville pauvre comme Trélazé dans le Maine-et-Loire ?"
Le tournant ne convainc pas les spécialistes ni les associations. "C'est un non-sens absolu car les questions de ségrégation, d'inégalité des chances selon l'endroit où on habite, disparaissent", s'étonne M. Donzelot. "Le PS démontre encore qu'il n'a pas su se saisir des problématiques de reconnaissance des minorités et de lutte contre les discriminations", conclut M. Epstein. Et pourtant, l'enjeu est réel, rappelle M. Tiberj : "Il y a dans ces quartiers un électorat au moins autant aligné sur la gauche que les artisans et commerçants sont à droite."

Rénovation urbaine : 45 milliards investis
Le projet. La rénovation urbaine, lancée en 2003 par Jean-Louis Borloo, alors ministre délégué à la Ville, ambitionne de rénover 490 quartiers sur la période 2004-2013. A ce jour, 395 quartiers ont fait l'objet d'une convention et une centaine de chantiers sont terminés.
Financement. 45 milliards d'euros, dont 30 déjà engagés, seront investis, selon l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). 12,3 milliards proviennent des subventions de l'ANRU. Depuis deux ans, l'Etat ne parvient plus à la financer et fait peser sur Action Logement (l'ex-1 % logement) et les bailleurs sociaux la part qu'il est censé verser à l'agence.

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