vendredi 28 mars 2003

Pour renouveler l’enseignement de l’Habitat dans les écoles d’Architecture et d’Urbanisme.


Faire la ville par sa matière !

La vie et la société ne sont que suites de ruptures. Cependant elles sont parfois profondes, quelquefois définitives. Dans le cas de la conception de l’habitat, tous les éléments de la césure sont là. La transmission des savoirs doit-elle, préventivement, s’adapter ?
Si l’enseignement de l’habitat dans les écoles d’architecture a toujours été permanent, il n’a que rarement été spécifique. Faut-il qu’il le soit ?
Notre propos est d’un autre ordre, il essaie d’anticiper le résultat et de mesurer l’enjeu. Connaître le risque n’est pas forcer la parade.
Plusieurs maîtres d’ouvrages spécialisés en habitat se demandaient pourquoi l’accès à la commande des jeunes équipes était si laborieux. Pourquoi fallait-il autant de temps pour»leur apprendre les bases»?
Comment se fait-il que les professionnels reconnus soient, tous, au bord de la retraite ou presque ? Un bon professionnel, pour un maître d’ouvrage important, c’est un individu qui comprend sa logique et sa culture voire partage son souci fonctionnel, financier, d’image etc..
Apres quelques échanges il apparut bien vite qu’au-delà de l’expérience professionnelle et du savoir technique accumulés, il y a une complicité inscrite dans des parcours personnels. Ce lien s’est fabriqué grâce à la masse de production effectuée, grâce à la transmission de savoir au sein des grandes agences. La disparition des rythmes élevés de production des années 70, ainsi que celle, liée, des grandes agences ont déclenché la rupture. La production des années 80 et 90, intéressante, créative mais peu rationalisée donc nettement moins propice à la répétition et l’échange avec le maître d’ouvrage a parachevé la fin de cette complexité.
De leur coté les maîtres d’ouvrages ont du pratiquer la répartition de la commande. En soit cela paraît logique et créatif mais l’abolition des»privilèges»nécessitait l’émergence d’autres pratiques de substitution. Le principe de compétition généralisé, pour des productions de plus en plus faibles ne l’a pas permis.
Les équipes de maîtrise d’ouvrage se sont organisées pour compenser. Le niveau professionnel s’est étoffé, les équipes aussi, c’est désormais un métier à part entière chez les investisseurs un peu importants. Leur filialisation est en cours. Logiquement, l’organisation pour se développer, va tenter d’absorber, d’intégrer ou de supplanter les fonctions voisines. Voilà un scénario de fin de rupture !
La crise annonce une exigence de renouvellement. Il est inutile de remettre en cause ce qui a été fait mais indispensable, dans tous les cas, de développer des logiques de production basées sur des process clairs et actualisés.
Si apprendre les caractéristiques d’un produit immobilier n’a qu’un intérêt très immédiat et des vertus pédagogiques probablement discutables, appréhender le principe de la commande et la logique du commanditaire apparaît, plus que jamais, vital pour un futur professionnel.
Pourquoi maintenant ?
On l’a vu, les acteurs de la génération précédente sortent progressivement de la scène. Apres ceux de la reconstruction, ceux de la gestion et du PLA se remettent en question. Ce sont, grossièrement les professionnels des lois de 77 (logement et architecture) qui doivent être renouvelées dans la décennie qui vient.
Le renouvellement urbain doit être accéléré c’est une question de survie pour le pays. Mais on conçoit bien que le seul renouvellement de la forme soit catastrophique. Les volumes évoqués et la complexité de la tache en font des champs d’activité majeurs pour une profession reconnue comme une des clefs de la question.
La banalisation des modes de financements et de mise en œuvre de la filière logement va»donner de l’air»aux produits mais aussi créer de l’exigence brutalement formulée. En bref le logement va rentrer plus clairement dans le champ de l’économie de marché.
La décentralisation de la politique logement va, cruellement, remettre à plat l’ensemble du process de production. L’état va déconcentrer son pouvoir, les collectivités seront, pour le moins, co-auteurs des stratégies de développement. Désormais c’est le niveau politique local qui fera la synthèse entre urbanisme, développement social et environnemental.
Les soucis de mixité, de cohérence urbaine, de participation et d’image ne seront plus»circularisés»mais négociés et contractualisés puis bientôt évalués et sanctionnés.
Les opérateurs, eux même, changent. Dans le secteur non institutionnel vont se développer, simultanément, de grosses sociétés foncières et de promotion et des associations ponctuelles. Les premières à l’image des zinzins d’antan seront clairement axées sur le rendement et la valeur patrimoniale. Elles pratiqueront l’arbitrage et le ciblage marketing performants. Les secondes, basées sur la proximité, rassembleront des individus qui préparent leurs vieux jours ou des amis qui s’associent pour construire leurs résidences. A l’image des coopératives locales des pays du Nord, elles auront des critères qualitatifs complexes et contradictoires et demanderont plus d’accompagnement que de pure production.
Enfin les acteurs HLM, dont on attend qu’ils doublent leur production, vont connaître des changements majeurs dans leur gouvernance. Un train de modifications réglementaires va, pour les ESH, partie privée du mouvement, donner un rôle de leader au 1% patronal. Ce mouvement, paritaire, qui a déjà crée, il y quelques mois, une foncière, devant se doter chaque année de plusieurs dizaines de milliers de logements, sera actionnaire majoritaire dans les organismes les plus dynamiques. La logique d’entreprise va provoquer des changements importants. Les HLM ne sont déjà plus ce qu’ils étaient.
La diversité des modes de vie, le vieillissement de la population et la volonté de participer à son environnement vont changer en profondeur les aspirations d’habitats de nos contemporains. Il va falloir repenser et expérimenter tant l’habitat que sa position dans la ville. Et cela ira bien au-delà des plans de logements.
Enfin, hier apanage de militants insolvables, le développement durable fait l’objet d’un consensus national et bientôt d’obligations politiques et réglementaires. La production raisonnée, de ce point de vue, est déjà quantitativement significative dans les pays du Nord. On constate, après une période de mimétisme sur les objets précédents, une créativité renouvelée avec des logiques différentes et de hauts degrés de professionnalismes.
Et la maîtrise d’ouvrage ?
Elle se pose les mêmes questions. Certains réaffirment la nécessité d’étoffer encore leur métier et de s’autonomiser, d’autres voient l’occasion de se lier à la maîtrise d’œuvre.
Il apparaît nettement que la maîtrise d’ouvrage pour le logement est devenue un métier à part entière. Ce métier est désormais co-créateur de l’habitat. Il dispose de moyens intellectuels, économiques, de formations et de réseaux encore dispersés mais considérables et proches des sources de la commande.
Ses individus, rompus à la gestion du paradoxe et fortement pragmatiques cherchent la valeur ajoutée et la maîtrise de la complexité. Exigeants, puissants mais fragiles, ils peuvent être concurrents, alliés ou associés de la maîtrise d’œuvre. Ils ne peuvent en aucun cas rester cette abstraction qui hante les rêves et les cauchemars des architectes.
L’initiative !
Tous ces éléments concourent à écrire une nouvelle page de la conception de l’habitat. Il ne convient pas de renier l’enseignement actuel mais de le renouveler, de l’actualiser des nouveaux chapitres issus d’une réalité avérée ou émergente.
D’un coté, la formation se doit d’être complètement professionnelle et quasiment opérationnelle, en raison de l’absence durable d’autres lieux d’initiations. D’un autre, la génération arrivante devra, aussi, être en mesure de réinventer l’habitat urbain, la mixité fonctionnelle, l’évolution et la transgression des standards et surtout conduire le process : Ce qui en réalité est la maîtrise de l’œuvre bien au-delà de l’acte de construire.
A coté du projet, d’autres pratiques continueront à progresser et à se créer : l’analyse, l’accompagnement, la simulation, l’arbitrage, le conseil, la gestion, la communication …….
Cette recréation ne peut se faire ni sans références ni sans compréhension des mécanismes qui ont prévalu pour les habitats formant le stock de notre vécu. La connaissance des subtils liens entre l’habitant, l’investisseur, le concepteur et la société qu’ils servent sont indispensables pour dépasser la commande et y inscrire une part d’humanité.
Il n’est pas ici question de militer pour reprendre un pouvoir, qui n’a jamais vraiment existé, mais pour développer l’initiative du concept dans l’habitat. Cela non pour une profession mais pour une vie sociale meilleure
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