mercredi 1 décembre 2010

Une réforme de l'aide au logement

Une vue neuve sur la question de l'aide à la personne et celle à la pierre.
Économie 30/11/2010 à 00h00

La réforme nécessaire de l’aide au logement

Par ROMAIN RANCIÈRE chercheur à l’Ecole des Ponts-et-Chaussées et professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris.
Le paradoxe est qu’alors que la puissance publique consacre des sommes gigantesques au financement des aides personnelles au logement - 14,7 milliards d’euros en 2008, soit 6% des recettes fiscales nettes de l’Etat -, l’accès au logement, en particulier dans les grandes villes, ne cesse de se dégrader. Ceux qui, parmi les classes populaires, n’ont pas accès au parc social, connaissent la précarité des mal-logés. Les classes moyennes sont chassées des centres-villes. Une fraction croissante des étudiants vit dans la pauvreté. Et partout, la ségrégation sociale et l’exclusion urbaine progressent.
Pour comprendre ce paradoxe, il est bon de revenir à un raisonnement économique élémentaire. Dans une ville comme Paris, l’offre de logements locatifs est rigide et quasi insensible aux variations du prix des loyers. Dans une situation extrême d’offre complètement rigide, le seul effet des aides aux logements est d’accroître le prix des loyers et les profits de propriétaire sans aucun bénéfice pour le pouvoir d’achat des locataires. Dans ce cas, les subventions publiques sont versées en pure perte.
Alors même que l’insuffisance de l’offre est la cause majeure de la crise du logement, les financements publics sont complètement déséquilibrés au bénéfice des aides personnelles au logement. La subvention publique à la construction de logements HLM n’est que de 500 millions d’euros, soit seulement 3,6 % du financement des aides personnelles au logement. L’efficacité de l’action publique imposerait de rediriger les financements en faveur de l’accroissement du parc social, soit par la construction, soit par l’achat de logements et leur conversion en logements sociaux. La combinaison de l’accroissement de l’offre et de la réduction de l’effet de subvention au prix des loyers du système actuel devrait entraîner une baisse des loyers du parc privé et une réduction de la ségrégation urbaine.
Pourquoi une telle inflexion de la politique du logement n’est-elle pas davantage débattue ? La lecture des rapports successifs de la Cour des comptes sur les aides au logement permet d’en comprendre une partie des raisons. Dans ses rapports, la Cour est très préoccupée de savoir si les aides sont bien allouées en priorité à ceux qui en ont le plus besoin, par exemple aux étudiants boursiers. En revanche, l’effet des aides sur le prix des loyers n’est jamais discuté comme si la fluctuation des prix était insensible aux aides publiques. Quand 20 % de la population française bénéficient des aides personnelles au logement et que les rigidités d’offres dans les grandes villes sont patentes, l’hypothèse d’absence d’effet sur les prix des loyers semble difficile à justifier. Un calcul économétrique simple de la sensibilité de l’offre et de la demande de logement au prix des loyers suffirait sans doute à l’infirmer. Et même sans économétrie, une simple enquête permettrait de se convaincre que les propriétaires répercutent bien l’aide personnelle au logement quand ils fixent loyers.
A Paris, l’insuffisance de l’offre est également liée à l’existence d’un stock important de logements vides. Les outils de taxations disponibles sont bien trop timorés pour attaquer ce problème. La taxe sur les logements vacants est fixée plus ou moins au niveau de la taxe d’habitation si bien que l’effet dissuasif est quasiment nul. Pour un particulier qui accepte le coût d’opportunité d’avoir un logement vide pendant toute ou presque toute l’année, le coût de la taxe sur les logements vacants est simplement négligeable.
Pour avoir un effet véritablement dissuasif, deux mesures seraient nécessaires. La première serait de taxer les détenteurs de logement vacant sur la base de la valeur locative théorique de leur logement. Un propriétaire d’un appartement vide de 80m2 à Paris, louable pour 2 500 euros, serait taxé sur une base de revenus annuels de 30 000 euros. La deuxième serait l’instauration d’un taux de plus-value nettement plus élevé lors de la revente d’appartements vacants.
La crise du logement en France n’est pas une fatalité. La politique actuelle tout entière tournée vers le soutien de la demande, alors que le véritable problème se situe du côté de l’offre, est largement inefficace. Son effet principal est de supporter les hausses de loyers et d’enrichir les propriétaires. En revanche, la redirection des mêmes moyens budgétaires en faveur de l’extension du parc social et l’introduction d’outils fiscaux véritablement incitatifs pour réduire le nombre de logements vacants sont en mesure de régler une bonne partie de la crise du logement.

jeudi 18 novembre 2010

L'étalement urbain a provoqué une hausse de 10% de la facture énergétique ces vingt dernières années

Un article du moniteur

ACTUALITE
| 17/11/2010 | 15:53 | Energie
L'étalement urbain, qui a engendré un éloignement des ménages par rapport aux villes et une augmentation de la taille des logements, a majoré de 10% la consommation d'énergie des particuliers, selon une étude de l'Insee publiée mercredi 17 novembre dans le cadre du Portrait social de la France.

En 2006, les ménages consacraient 8,4 % de leur budget aux dépenses d'énergie : 4,6 % en chauffage et électricité pour leur logement ; 3,6 % en carburant. Des dépenses qui varient beaucoup d'un ménage à l'autre. Selon l'Insee, deux variables expliquent l'essentiel des écarts : la surface du logement pour la facture énergétique du logement, l'éloignement des grands centres urbains pour le carburant. Depuis 20 ans, les ménages ont continué à s'éloigner des villes-centres des aires urbaines et ce phénomène d'étalement urbain s'est accompagné d'un agrandissement des logements. Cela explique que, malgré l'amélioration de l'efficacité énergétique des habitations et des véhicules, la part budgétaire consacrée à l'énergie ait peu varié sur la période. Ainsi, si les ménages habitaient en 2006 dans les mêmes logements que 20 ans auparavant (en termes de surface et d'éloignement des villes-centres), leur consommation d'énergie serait 10 % plus faible.
| Source AFP

jeudi 4 novembre 2010

Questions de densités ? ou questions d'intensité ?

Questions de densités ? ou questions d'intensité ?



On parle beaucoup de densité, ces derniers temps, et toujours de manière péjorative. Nous,
français, faisons un amalgame entre densité urbaine et absence d'intimité, entassement de population,
superposition de logements identiques.
Cette crainte est bien compréhensible car nous percevons intuitivement dans de nombreuses
opérations de la reconstruction un manque d’articulation avec le contexte urbain et l’environnement. La
typologie de barres et de tours homogènes et répétitives, qui règne dans ses lieu, non seulement paraît
imposante en raison de leur isolement du sol et sans cohérence apparente avec le tissu urbain mais
signifie également enclavement et enfermement social.
Ne nous trompons pas cela n'a rien à voir avec la densité réelle. Celle des ZUP, hors ile de France,
est souvent de l'ordre de 50 logements par hectare alors que le tissu ancien, quartier allemand par
exemple, est de 250 logements à l'hectare. Les centre villes, si enviés et si touristiques, sont souvent
bien plus dense que nos périphéries de villes.
La crainte est légitime mais se trompe de cible, c'est la diversité qu'il faut rechercher, celle de la
morphologie des habitations, de leurs architectures et des statuts locatifs ou en propriété. C'est la
qualité des espaces publics, l'apport de la nature en ville et la densité des services, dont les transports
collectifs, qui font l'attrait de là vie urbaine. Appelons cela l'intensité urbaine.

Pourquoi donc prôner la densité urbaine ? Parce qu'elle est un des moyens de l'intensité, de la
mixité et de la qualité urbaine. Soyons cependant exigeants car le moyen ne suffit pas, il faut en
outre assurer la diversité et l'harmonie, mot un peu désuet qui signifie la composition urbaine. Il est
également indispensable de veiller à un usage efficace des sols pour épargner les surfaces naturelles
et agricoles qui ne sont pas extensibles mais aussi d'économiser les réseaux. On sait que la taille des
réseaux augmente au carré de la surface desservie, l'éloignement coute cher à la société complique
l'organisation et dissous la sureté. Enfin, la dispersion sur le territoire exige l'automobile car le transport
en commun ne peut plus y être mis en place. Si la population doit se déplacer avec des voitures,
indépendamment des conséquences environnementales, ce seront ceux qui n'arriveront pas à se loger
et à travailler au centre qui en seront le plus dépendant, donc fatalement exclus des avantages de la vie
urbaine.

La non densité, n'est ni solidaire, ni efficace, ni responsable, veillons à ce que l'intensité urbaine soit
joyeuse, partagée et perçue comme un cadre de vie avantageux. Il faut pour cela des conceptions
urbaines renouvelées, respectueuses, fiables et poétiques.

mercredi 3 novembre 2010

Mobilité urbaine

Un article de Marie Hélène Massot et de Jean-Pierre Orfeuil sur le réalisme écologique, les mobilités urbaines => vers les villes denses

lundi 11 octobre 2010

Un intéressant article du moniteur sur urbanisme et développement durable


LeMoniteur.frObtenir un pdf de l'article




La ville positive : un concept simple pour permettre aux villes de restaurer l'environnement
Rodolphe Deborre, directeur associé de BeCitizen | 28/09/2010 | 15:03 | Territoire



© Viktoria Henriksson
Le quartier Hammarby, au Sud de Stockholm, élue « Capitale verte de l'Europe », en 2010, par la commission européenne

Rodolphe Deborre, directeur associé de BeCitizen, société de conseil stratégique en développement durable, pense que l'urbanisme peut réparer l'environnement. Tous les quinze jours, sur LeMoniteur.fr, il tentera de définir ce que doit être la ville de demain.
L'homme peut réparer l'environnement qu'il a détruit. Il est possible de mettre en jeu les idées, technologies et solutions vertes qui sont désormais à disposition. Cette mutation verte est également possible en ville. Découvrons comment en commençant par observer la possibilité d'une ville positive.

La ville qui détruit l'environnement est elle une fatalité ?

Il n'existe aucune raison valable pour dire que l'homme et ses projets détruisent inévitablement l'environnement. L'espèce humaine appartient au monde vivant. A ce titre, nous vivons essentiellement du soleil et des molécules et organismes qui se créent et se transforment depuis 4 milliard d'années. Or, le monde vivant ne crée ni déchet ou gaz à effet de serre « anthropiques ». Bien au contraire, le monde vivant crée des ressources (bois, sols, molécules), stocke du CO2 et augmente la biodiversité. En théorie donc, l'homme ne devrait pas échapper à la règle.
Or l'homme a bel et bien inventé les déchets, les gaz à effet de serre « anthropiques » ou la pollution. Si l'homme a réussi le tour de force de créer ces entités destructrices de valeur environnementales, pourquoi diable n'arriverait il pas à créer d'autres entités réparatrices ?
Nous sommes au début du XXIème siècle, les solutions existent, même en ville. Exemples : il est possible de dépolluer sur place les eaux grises d'une maison avec un système à base de plantes sélectionnées . Il est possible de bâtir une usine de T-shirt qui rejette une eau plus propre que celle qui entre dans l'usine . De plus, la performance économique de ces solutions est souvent intéressante, a minima en matière de réduction des couts et des risques.

Comment définir la ville positive, celle qui répare la planète ?

La ville positive est d'abord une ville humaine. Ce n'est pas une machine. Elle a une histoire et va évoluer et se transformer avec les hommes et femmes qui l'habitent et qui y ont habité. Le Paris d'aujourd'hui ne ressemble sans doute que peu à ce que s'imaginait le baron Haussmann. Le Paris de demain, forcément positif, ne ressemblera pas à l'idée que l'on s'en fait. En revanche, il faut souhaiter qu'il restaure l'environnement de son territoire.
Définissons la ville positive comme une ville dont la performance écologique est telle qu'elle répare l'environnement : production de ressources renouvelables, dépollution, création de biodiversité, production nette d'énergie renouvelable, amélioration de la santé et de la qualité de vie, stockage de carbone.

Quelle différence entre la ville positive et la ville durable ?

La ville positive constitue une rupture fondamentale avec le discours classique sur la ville durable. Ce discours parfois confus consiste à dire qu'une ville durable doit minimiser ses impacts mais qu'il restera forcément des impacts négatifs ! Une ville durable serait une ville qui consomme moins d'eau potable, mais qui en consomme tout de même. Une ville durable consomme moins d'énergie fossile, mais en consomme tout de même. Poussé à son extrême, cela signifie qu'il y aurait une fatalité à ce que la ville dégrade l'environnement : au final, moins il y a de ville et mieux la nature se porte.
La ville positive s'oppose à cette vision des choses. Si la ville positive, au service des hommes, parvient à restaurer la nature, le territoire et les hommes qui l'habitent, alors chaque ville positive supplémentaire est la bienvenue, chaque bâtiment positif est le bienvenu, chaque infrastructure positive est la bienvenue.

A quelle échelle urbaine peut-on mesurer une ville positive ?

La performance écologique de la ville positive doit se mesurer à l'échelle du territoire pour plusieurs raisons. Premièrement, il est nécessaire de prendre en compte les « fuites » ou éléments induits par le projet lui même pour mesurer sa réelle efficacité. Par exemple, un éco quartier sans voiture ne doit pas induire un stationnement supplémentaire en dehors des limites du quartier proprement dit. Deuxièmement, l'optimum écologique et économique se trouve parfois à une échelle supérieure à celle du bâtiment. Ce point sera détaillé ultérieurement.

Quelles sont les performances écologiques à atteindre dans la ville positive ?

La performance écologique de la ville positive peut se mesurer selon 5 bilans écologiques distincts : l'énergie, le climat, les ressources, la biodiversité et la santé. Les seuils de performances recherchés visent à restaurer l'environnement. La ville positive a donc pour objectif de produire de l'énergie renouvelable, de stocker du CO2, de créer des ressources exploitables, de renforcer la biodiversité et d'améliorer la santé.

Comment mettre en œuvre la ville positive ?

La ville positive se décompose simplement dans les postes classiques de définition d'un projet urbain : place de l'homme, choix du site et transport, énergie, eau, matériaux, espaces verts et biodiversité, fournisseur positif et bien sur la place de l'homme.
Loin d'être une utopie, la ville positive est écologiquement nécessaire, économiquement possible et humainement tout à fait désirable. Nous proposons aux lecteurs du moniteur.fr une série d'articles qui vise à détailler comment et pourquoi mettre en œuvre la ville positive.
Dans deux semaines : "Sur quel site se développe une ville positive ?

Rodolphe Deborre, directeur associé de BeCitizen | Source LE MONITEUR.FR

jeudi 30 septembre 2010

Habitats Intermédiaires : l’Architecture Urbanisante

L'ouvrage écrit avec barbara Allen et Michel Bonetti, paru en septembre 2010 grace à l'USH et au PUCA est disponible ici.
L'étude précédente (sur le centre Est) est composée d'un rapport, d'une synthèse et de fiches de cas et fait l'objet d'un article dans la revue Habitats et Société.

mercredi 11 août 2010

Une politique logement à l'échelle locale, pourquoi pas ....

Quelle politique pour le logement ? 
A Strasbourg en 2011

A l’heure ou l’état se désengage clairement de la question de l’habitat
, d’une manière particulièrement ambiguë en déléguant la répartition de crédits dont il maitrise le flux et les modalités d’attribution ainsi que les priorités. Simultanément après avoir lancé une phase ambitieuse et centralisée de rénovation urbaine, l’état fait financer sa mise en oeuvre exclusivement par les partenaires sociaux et restructure vigoureusement une partie des opérateurs, celle non liée aux collectivités locales.
Politique incohérente ou retrait de l’action banale pour affirmer l’action sur le plus urgent : l’hyper social ? Peu importe, c’est une fin de cycle qui se profile. Il apparait d’une part, que l’adage «quand le bâtiment va tout va» ne fonctionne plus. Les plans de relance à l’industrie et aux entreprises du bâtiment sont finis, même la TVA réduite seraient remise en cause, contrairement à celle de la restauration pourtant controversée. D’autre part, l’utilisation de l’habitat comme vecteur d’unification de la nation est abandonnée, la société étant sans doute trop éclatée, le cout trop élevé, les bénéfices sociétaux trop éloignés des standards anglos-saxons en vogue.
La mutation est donc bien là et probablement de façon pérenne; les priorités seront celle de la compétitivité internationale, celle de la solidarité intergénérationnelle, celle de l’éducation, celle du redressement financier de l’état, etc..
Se pose donc la question de l’action locale : l’état faisant recul, ce sont évidement les collectivités locales et le marché qui vont agir. Le marché devrait sans difficulté produire l’habitat des populations solvables mais à condition que le foncier soit disponible. 
La qualité physique des logements, peut être même la qualité architecturale pourraient être tenues par les outils de la planification urbaine secondés par ceux du droit des sols. Techniquement les performances thermiques et de durabilité peuvent être atteintes mais sociologiquement tout indique que la recherche de l’entre soi comme celle de la banalité de l’habitat augmentent. 
De la recherche de l’entre soi il résulte un développement conçu opération par opération donc probablement segmenté et sectorisé. On verra alors grandir l’accentuation des produits binômes : habitat-localisation qui vont évidement accentuer la ségrégation spatiale. Les collectivités vont alors dépenser des moyens considérables pour «acheter» des droits à construire là où ils sont chers pour éviter de tomber dans la caricature de ségrégation spatiale qui leur coute tant actuellement lors des opérations de renouvellement urbain.
Le marché fourni également déjà depuis des décennies des formes d’habitat de plus en plus normées. Pour garder une valeur de revente, si possible spéculative, l’acheteur se méfie de toute innovation (sauf peut être celles thermiques faisant baisser les charges). Cela explique, aussi, que le logement social est désormais le seul vecteur d’expérimentation et d’exemplarité de la qualité.
Les collectivités et leurs outils resteront ainsi en charge de l’habitat des ménages les moins solvables. En sachant que l’état restructure les opérateurs de droit privé du logement social et le 1% logement pour les instrumentaliser soit sur les sites du territoire les plus en manque de logements soit sur les quartiers en grandes difficultés, il apparait ainsi évident que dans de nombreuses régions les collectivités n’auront plus que leurs établissements publics pour réagir. Par ailleurs, si l’on observe la massive prime à la rente opérée ces dernières années grâce à la flambée immobilière qui à surtout bénéficié aux propriétaires fonciers, il est prévisible que de plus en plus de ménage seront écartés du cursus économique «ordinaire» d’accès au logement. En effet, insolvables pour louer ou acheter dans le coeur des agglomérations, ils partaient de plus en plus loin pour «faire construire» avec un processus (le binôme CMI Contrat de Maison Individuelle et lotissement) certes performant à court terme mais goinfre en territoire et totalement stérile en équilibre socio-démographique. Or l'expansion urbaine va s'arrêter car bien trop couteuse en équipement, les réseaux croissants au carré de l’échelle et les structures de transports se diluants dans les périphéries. Elle va également stopper sous l'effet conjugué de la prise de conscience collective du gâchis de terre cultivable, de la pression des mouvements de protection de l’environnement et du prix des carburants.
Les ménages seront ainsi pris au piège et la coupure sera de plus en plus forte entre ceux qui rentrent dans les cadres du marché et ceux qui ne peuvent qu’attendre l’action publique. Les grandes villes témoignent déjà de la violence de la situation et, témoin, la mise en place des produits intermédiaires (PLI, PCL, PLS) depuis 20 ans ne fait que d’amplifier. Ces produits sont particulièrement couteux soit en fonds publics soit en fonds propres des opérateurs ce qui finalement revient au même.
Que faire ? Nombreuses seront les collectivités qui vont essayer de composer avec les éléments du marchés dont les opérateurs ne sont pas tous dirigés par des affairistes irresponsables, loin de là, mais chaque opération rendue mixte sera un chantier, une négociation et des rapports de forces. Paradoxalement ce sera là ou la demande solvable sera la plus forte, les ville centre, que cette politique sera le plus possible car les marges seront alors suffisantes mais au prix d’une nouvelle hausse des valeurs. Seul le taux et les durées des prêts pourraient réguler la situation mais désormais ils se décident ailleurs.
Deux approches stratégiques de fond se proposent alors : faire de l’offre ou verrouiller le processus. 
Fabriquer de l’offre en abondance a comme résultat de maitriser l’inflation des prix tant immobiliers, locatifs comme accession, que fonciers. Cependant, c’est bien là où le besoin est le plus massif que ce sera le plus couteux. De plus l'intervention publique sur le domaine privé, ou reconnu comme tel, est passé de mode et souvent peu crédible économiquement. Il y a néanmoins une situation qui mérite cette approche car économiquement très performante, c’est la remise sur le marché des logements vacants. Structurellement ils ne coutent rien à la collectivité : pas de réseaux et pas d'équipements, juste une incitation et des mécanismes d’accompagnements lourds en temps. 
Seconde option : tenir le processus. Tous les stratèges savent qu’il vaut mieux se situer en amont qu’en aval si l’on veut agir efficacement. L’amont dans la filière habitat c’est le foncier et la mise en oeuvre de sa fabrication, terme impropre auquel on préférera sa mutation. L'efficacité c’est la maitrise de la propriété. Cette pratique chère au municipalisme social des années 20 a permis la confection d’un parc toujours apprécié mis en oeuvre dans des conditions d’après guerre bien plus réussie que en 50 et 60 et accessoirement des citées jardins. Le principe en est très simple : maitriser le sol, l’aménager dans un esprit et une économie globale, répartir les charges et planifier l’urbanisation.
La ville de Rennes, et plus tard son agglomération, pratique ce dispositif depuis l’après seconde guerre mondiale avec succès puisque, achetant systématiquement les terrains, elle en a stabilisé les prix, fixés par l'administration fiscale en proportion des achats voisins eux aussi effectués par la collectivité. Ainsi toute opération d’aménagement est publique et voit sa mise oeuvre effectuée par des outils para publics. La qualité de l’architecture, de l’urbanisme et le succès sociologique de ces réalisations témoignent de la capacité à la mixité sociale, celle des morphologies d’habitat, des statuts et des typologies.
Evidement des innovations environnementales peuvent être mise en oeuvre, mesurées et capitalisées sans difficulté.
Le dispositif de la maitrise foncière, une fois amorcée, est vertueux car la connaissance et la maitrise de la charge foncière, six fois moindre à celle de Strasbourg, permet de déplacer la richesse soit dans la performance sociale, soit dans la qualité urbaine ou environnementale soit partout simultanément.
La maitrise sous la même autorité de la propriété foncière, de la conception urbaine et de la règle permet une clarté d’action et une limpidité des processus bien plus économe en temps et en énergie, sans compter que le rythme de mise en service est également régulé à la demande. Ajoutons que les opérateurs immobiliers privés ne se plaignent nullement car le dispositif apporte une clarté et une fiabilité accrue à leurs engagements.
Mais il faut une forte volonté politique, un corps d’outils publics efficients, la bonne géographie, sans doute l'agglomération un peu étendue, et les moyens d’amorcer la pompe des acquisitions foncières.

dimanche 11 juillet 2010

ENHR Une problématique de développement urbain durable fondée sur le concept de développement du potentiel urbain

On a été impressionné par le texte visionnaire de Michel Bonetti
Le lien pour le charger en pdf



ENHR Une problématique de développement urbain durable fondée sur le concept de développement du potentiel urbain

Michel. Bonetti
Sociologue, Directeur de Recherche

European Network for Housing Research Conference
URBAN DYNAMICS AND HOUSING CHANGE
(Istanbul, Turquie – 4 au 7 juillet 2010)

1 INTRODUCTION
Bien qu’en matière de développement urbain durable on fasse rituellement référence au fait que celui-ci repose sur la prise en compte des enjeux sociaux, économiques et techniques, dans la réalité la majorité des approches tend à le limiter aux enjeux économiques et techniques de réduction des consommations d’eau et d’énergie et au recyclage des déchets. Ces enjeux sont certes très importants pour le devenir de la planète, mais cette conception du développement urbain durable manque en fait son objet proprement « urbain », car elle n’interroge pas réellement les conceptions du développement urbain. La seule concession aux enjeux urbains du développement durable concerne l’objectif de réduction de l’étalement urbain, mais cet objectif est posé en terme fonctionnel et vise la limitation des déplacements. Il est donc également asservi à l’objectif de réduction des consommations d’énergie.
Ces approches sont prétendument posées en termes de développement urbain, alors qu’elles concernent essentiellement les techniques de construction des bâtiments. Cette référence au développement « urbain » tient simplement au fait que les bâtiments sont généralement implantés dans des villes. Nous proposons une autre approche véritablement urbaine du développement durable visant à modifier en profondeur la conception du développement urbain et qui repose sur le développement du  « potentiel urbain » des sites  faisant l’objet d’un processus d’aménagement ou de renouvellement urbain, qu’il s’agisse d’habitat, d’équipements ou de zones d’activité économique. Il s’agit en l’occurrence de considérer l’espace lui-même comme une ressource rare, au même titre que l’eau et l’énergie, en visant à optimiser sa valorisation, à la fois en terme économique, symbolique et de fonctionnement social urbain.
Dans cette perspective les enjeux techniques de développement durable, qui renvoient à ce que l’on appelle de manière abusive la « qualité environnementale » comme nous le verrons, sont effectivement pris en compte, mais en étant au service d’une conception proprement urbaine du développement durable
Il convient de signaler que nous avons construit cette problématique en coopération avec l’architecte urbaniste J.D. Laforgue dans le cadre des missions d’assistance aux projets de renouvellement urbain ou d’aménagement que nous conduisons pour des villes et des aménageurs en région parisienne, à Lyon, Nantes, Beauvais…etc . Nous l’avons donc mise à l’épreuve du développement urbain concret. Cette problématique fonde également la conception d’un « référentiel de conduite de projets urbains » que nous avons élaboré en coopération avec une importante société d’aménagement urbain de la région parisienne (l’AFTRP). Actuellement elle constitue le fondement de l’élaboration d’un programme d’éco-quartier qui vise à revaloriser une friche industrielle à proximité d‘un faubourg de Reims, que nous réalisons pour un groupe d’organismes de logement social.
A la lecture de cet article un certain nombre de chercheurs ou d’urbanistes réagiront sans doute en considérant que la problématique que nous proposons n’est pas réellement spécifique au développement urbain durable et que nous ne faisons que rappeler des principes qui devraient normalement guider la conception des projets urbains. Sur le fonds ils n’auront sans doute pas totalement tort. En réfléchissant à ce que pourrait être une conception urbaine vraiment durable des projets d’aménagement nous avons en effet retrouvé certains principes fondateurs de l’urbanisme, et notamment tout ce qui concerne l’adaptation à l’environnement local et l’exploitation des qualités qu’il recèle. Principe d’adaptation qui rappelons le a été largement effacé voire nié par l’urbanisme moderne, qui vise à déployer les mêmes formes urbaines et architecturales quelque soit le contexte. Même si elle peut paraître excessive, la déclaration lapidaire de Koolhas « I fuck the context » résume clairement cette posture.
L’intérêt majeur de l’émergence du développement urbain durable réside sans doute dans le fait de permettre cette redécouverte de principes de conception traditionnels tout à fait fondamentaux, que le fonctionnalisme avait écarté au nom de l’universalisme et de la modernité, et de leur redonner une certaine légitimité.

2 Le developpement urbain durable : Une conception réductrice de la qualité environnementale
Le développement urbain durable est supposé prendre en compte les enjeux économiques et sociaux, mais en réalité la majorité des projets se concentre essentiellement sur des enjeux techniques. L’amélioration de « la qualité environnementale » est censée être leur finalité majeure, mais ils opèrent un véritable hold up sur cette notion en réduisant la qualité environnementale à la gestion de l’eau, de l’énergie et des déchets, oblitérant ainsi les multiples facteurs qui contribuent à façonner la qualité des environnements urbains. La qualité des formes architecturales et urbaines, des ambiances urbaines, des espaces publics, des équipements, des interactions sociales, sont ainsi passées sous silence.

Un nouvel hygiénisme
Cette conception considère la ville comme une source dispendieuse de consommation de ressources et génératrice de pollutions en tous genres. Elle repose sur une vision négative de la ville qui apparait comme un mauvais objet mettant en danger l’avenir de la planète, ce qui n’est pas sans rappeler les conceptions hygiénistes du XIXème siècle qui ont fondé le développement de l’urbanisme fonctionnaliste.

La bunkerisation des villes et la dévalorisation des espaces publics
Ces approches technicistes, qui évacuent la question de la qualité urbaine, risquent de générer des formes urbaines et architecturales particulièrement médiocres. Les Bâtiments Basse Consommation réduisent la taille des ouvertures, offrent des façades plates et uniformes, suppriment les excroissances tels que les balcons et multiplient les pignons aveugles, à fortiori lorsqu’ils sont situés au nord. Il en résulte des rues tristes, voire angoissantes et insécures. Pour l’urbaniste F. Reischen cette tendance conduit à réduire l’architecture à la réalisation de bouteilles thermos.
Dans l’habitat ce phénomène de carcéralisation des immeubles, aggravé par la multiplication des grilles de protection, ne peut que renforcer le repli sur le logement, car l’espace public ainsi produit n’incite guère à s’y promener. La conception des espaces publics n’est visiblement pas une préoccupation majeure de ces démarches de développement durable, alors que la qualification de ces espaces joue un rôle essentiel dans le développement de la mixité sociale qui est censée être un de leurs objectifs majeurs.
Cette conception techniciste peut conduire à la réalisation de villes très performantes en termes de consommation d’eau et d’énergie, de recyclage des déchets et générant peu de pollution, mais où les gens ne se déplacent plus, ne sortent plus de chez eux, n’ont plus d’activité sociale hormis le travail, car l’espace public qu’elle produit est triste et morne et offre peu d’attrait.

L’Approche Environnementale de l’Urbanisme : vers un « éco-fonctionnalisme » ?
L’Approche Environnementale de l’Urbanisme est née d’une critique du fonctionnalisme, en raison du gaspillage d’énergie et d’espace et de destruction de la nature qu’il génère. On aurait pu penser que cette approche réduise la prégnance des logiques techniques et contribue à un renouvellement de la conception urbaine, en favorisant un renouveau des conceptions urbaines culturalistes qui ont été laminées par le fonctionnalisme.
Or elles se réduisent à une application des techniques dites environnementales au champ urbain, et non pas à la mise en œuvre de conceptions urbaines durables. L’AEU manque en fait son objet proprement « urbain », car elle ne remet pas en cause les conceptions fonctionnalistes du développement urbain. Au lieu de rompre avec les logiques antérieures, elle apparait en fait comme une nouvelle forme de fonctionnalisme, comme un « éco-fonctionnalisme ».

Le paradoxe d’une conception qui dévalorise l’espace urbain alors qu’elle vise à inciter les citadins à investir les villes.
Paradoxalement le développement urbain durable qui est supposé améliorer la « qualité environnementale » ne se préoccupe donc guère de la qualité urbaine de cet environnement.
Autre paradoxe, il est censé dissuader les citadins de s’installer dans des zones pavillonnaires péri-urbaines et les convaincre de vivre dans des espaces urbains plus denses afin de réduire l’étalement urbain et les déplacements automobiles qu’il génère, alors qu’il leur offre des univers urbains sinistres. On voit mal comment une telle conception du développement durable peut parvenir à convaincre les ménages de renoncer au charme de la maison individuelle et retrouver le plaisir de vivre en ville dans des immeubles collectifs, dans un habitat plus dense.




3 Le statut de L’espace : un objet actantiel support de déploiement des interactions sociales

Pour penser le développement urbain durable il importe au préalable de s’interroger sur le statut de l’espace et sur son rôle dans le développement des sociétés. Pour notre part l’espace est un « objet actantiel », au sens ou il influence les pratiques humaines. Il constitue également la matière première de la fabrication des univers urbains et de la création de ressources. C’est aussi un support de déploiement des activités, des interactions sociales et de significations imaginaires et symboliques.

L’espace, un objet actantiel
L’espace est un objet autour duquel, sur lequel, voire dans lequel se déploie l’agir humain. En tant que tel l’espace n’agit pas, on agit sur lui, on peut aussi être agi par lui au sens ou on agit pour une part en fonction de lui. C’est un glissement de sens, voire une dérive, de dire que l’espace agit. Quand on parle d’une ville qui se développe, qui participe à la compétition mondiale, qui consomme de l’énergie, on substantialise l’espace, on lui prête des capacités qu’il n’a pas. Ce sont les acteurs de la ville qui agissent ainsi. Par contre leur action est fonction de l’espace urbain qans le quel elle s’inscrit, elle dépend de la sédimentation historique qui s’est opérée dans le lieu où ils sont implantés, sédimentation dont ils sont pour une part le produit
De la même façon parler de la « ville durable » n’a pas de sens, la ville n’est pas en tant que telle durable ou périssable, ce sont les activités humaines d’aménagement, de construction, de gestion urbaine, de développement d’activités économique, de déplacement, qui conditionnent la « durabilité » de l’espace concerné.
Il faut tout autant se méfier des métaphores mécanistes ou organicistes : l’espace n’est pas une machine et encore moins un organisme vivant. Les villes ont donné lieu à de multiples projections anthropomorphiques, conduisant à les considérer comme des êtres vivants, et à qualifier leurs composantes, comme l’a montré P. Séchet, par de nombreux termes empruntés à la biologie ou à la physiologie, en parlant du « cœur » de la ville, de « ses artères »,de « ses poumons », de son « squelette », de la même façon qu’en architecture on parle de « la peau » d’un bâtiment, de son « ossature », d’un « épaulement »…etc .(P. Séchet )
L’école de Chicago, à travers Parks est allé jusqu’à comparer le fonctionnement des villes à celui des organismes vivant en parlant du « métabolisme urbain » pour désigner les processus par lesquels les villes intègrent les nouveaux arrivants, les assimilent et « les digèrent ». Les crises urbaines ne seraient donc que des indigestions passagères (Parks ). Il compare ainsi la croissance des villes à celle des corps, qui passeraient ainsi implicitement de l’enfance à la maturité pour ensuite dépérir. Avec l’émergence du développement durable ce concept de métabolisme urbain fait florès, désignant les processus par lesquels les villes consomment et transforment de la matière, de l’eau et de l’énergie pour assurer leur fonctionnement et leur croissance, et rejettent donc des déchets polluants, leurs excréments en quelque sorte, qui peuvent néanmoins être recyclés, au même titre que les excréments des animaux permettent de produire un terreau nourricier. On nage ainsi en plein organicisme chimique et biologique.
On peut également constater une autre dérive, poétique celle là, héritière du célèbre vers de Lamartine « objets inanimés avez-vous donc une âme ? », notamment chez des gens comme P. Sansot (par ailleurs très respectable), qui n’hésite pas lui aussi à considérer les villes comme des êtres vivants (P. Sansot ), qui se réveillent le matin et s’endorment le soir, qui « vibrent » et peuvent se déchainer. Les poétes peuvent effectivement nous offrir des métaphores merveilleuses sur ce registre, mais il est inquiétant que ces formulations soient reprises à la lettre par des chercheurs qui prétendent analyser le rapport des individus à l’espace.
Ces dérives interviennent toujours quand on cède au nominalisme, qui conduit à transformer des objets, fussent ils créés par les hommes, en sujets agissants. Or la ville n’est pas un être et encore moins un sujet, pas même un sujet de l’histoire.
Mais l’espace influence les activités humaines, la nature des actions et les façons d’agir des individus, ainsi que les interactions qui se nouent à travers cet agir. C’est très souvent autour d’un objet matériel que s’organisent les activités humaines et les interactions sociales. La métaphore du ballon de football ou du ballon de rugby illustre ce phénomène. Autour de l’enjeu que représente la maîtrise de ces objets de nombreuses activités se développent et se déchaînent des passions. Et ces objets sont manipulés dans des espaces qui ont des caractéristiques particulières et dont l’usage a donné lieu à la définition de règles strictes, à une codification précise.

L’espace, matière première de la fabrication des univers urbains et de la création de ressources
Il convient de rappeler que les univers urbains sont des univers fabriqués par l’action humaine, fabrication qui a profondément évolué à travers l’histoire. Mais cette fabrication s’appuie sur une matière première, l’espace physique, qui lui fournit d’ailleurs ses matériaux de construction et le terreau de sa nourriture, et dont les hommes se sont toujours efforcés de tirer parti au mieux en tenant compte par ailleurs des conditions climatiques. Jusqu’à une période récente du moins, puisque avec l’avènement du fonctionnalisme urbain le souci des urbanistes a précisément été de s’affranchir des contraintes spatiales, notamment topographique. Rappelons en effet que Le Corbusier a développé l’utilisation des pilotis dans la construction précisément pour s’affranchir des contraintes topographiques et de la mauvaise qualité des sols et ignorer les lignes de pente. Cà ne manque pas d’humour, puisque cette technique ancestrale avait été inventée au contraire pour adapter les constructions à des environnements particuliers, notamment aux zones marécageuses ou aux sites lacustres.

L’espace est donc une ressource du développement des sociétés mais il ne s’agit en aucun cas, comme toutes les ressources économiques d’ailleurs, d’une « ressource naturelle ». L’espace a de multiples caractéristiques, mais ces caractéristiques ne deviennent des « ressources » que dans la mesure où les hommes éprouvent le besoin de les utiliser et disposent des capacités techniques pour les exploiter. Des terres fertiles permettant de cultiver des céréales n’ont aucun intérêt pour des peuples nomades éleveurs de troupeaux dès lors qu’elles suffisent à faire pousser de l’herbe en abondance. De même que le pétrole qui imprégnait les tourbières était plutôt une calamité pour les agriculteurs et les déserts arides recelant des gisements de pétrole à une faible profondeur n’avait guère d’intérêt pour les tribus bédouines, avant que l’on ne se rende compte de son utilité et que l’on sache l’exploiter. De nombreuses ressources dites naturelle n’ont acquis cette valeur que de manière transitoire dans l’histoire. Ainsi l’énergie hydro-électrique a connu son heure de gloire durant moins d’un siècle, du milieu du XIX au milieu du XXème siècle, à partir du moment où on a inventé les turbines permettant de fabriquer de l’électricité jusqu’à ce que l’on sache transporter cette électricité à grande distance sans trop de perte énergétique. Période au cours de laquelle les industries métallurgiques se sont implantées dans les régions montagneuses. Il donc fallu deux conditions contradictoires pour que cette ressource soit particulièrement valorisée :
-que l’on maîtrise une technique de fabrication de l’électricité (et accessoirement de construction de grands barrages)
-que l’on ne maîtrise pas encore les techniques de transport efficaces de cette énergie
On a certes continué à fabriquer de la « houille blanche » après cette période privilégiée, mais elle avait perdu de sa valeur, d’autres ressources s’avérant beaucoup plus économiques (le pétrole, le nucléaire), d’autant plus que les écologistes ont commencé à pointer leur nez et à s’opposer à l’implantation de barrages au nom de la protection de l’environnement. C’est seulement récemment que les enjeux de développement durable ont remis au goût du jour cette source d’énergie.
Pour prendre un autre exemple la neige recouvrant les montagnes était une catastrophe pour les paysans des Alpes, jusqu’à ce que l’attrait de la bourgeoisie pour les sports d’hiver ne la transforme en « or blanc », au point que les promoteurs des activités touristiques se désolent désormais de la réduction des chutes de neige due au réchauffement climatique. Cet exemple est particulièrement intéressant car la même matière, la neige, est pour certains une ressource agréable ou rémunératrice, une source de revenu ou de plaisir, et pour d’autre un fléau, comme en témoigne la perturbation assez amusante des systèmes de transport due à la chute de quelques centimètres de neige dans les villes et sur les aéroports ou les grands axes routiers.
Au lieu de parler de ressources « naturelles » il est plus exact de parler de « ressources culturelles», de caractéristiques de l’espace qui deviennent des ressources en fonction de besoins culturels et des cultures techniques déployée par l’humanité. Nous pouvons tout au plus parler de « ressources naturelles potentielles », d’éléments de la nature qui peuvent devenir des ressources dans des conditions particulières. Nous voyons émerger là la notion centrale de « potentiel »que nous souhaitons développer dans cet article, car cet exemple illustre assez bien cette notion. Il s’agit d’un mouvement, d’un processus à travers lequel des caractéristiques de l’espace adviennent comme ressources et sont activées, deviennent actives et sont valorisées, acquièrent une certaine valeur, non seulement opératoire mais également symbolique. Et autour de cette « ressource » tout un ensemble d’activités, de compétences et d’interactions sociales et politiques se déploient.
On peut penser que l’existence et la proximité de caractéristiques particulières de l’espace, de ce qui s’avèrera être des ressources « potentielles », ont de tout temps incité les hommes à essayer d’en tirer parti, sans savoir par avance précisément l’usage qu’ils pouvaient en faire. C’est ainsi que la présence de bois, de pierre, de chaux à proximité a conduit à transformer ces éléments et à en faire des matériaux de construction, façonnant ainsi leur univers urbain. L’exemple de la neige mentionnée précédemment est également intéressant à ce titre, car les paysans soumis à son envahissement se sont malgré tout efforcé de l’utiliser. Sa valeur isolante assez paradoxale leur a servi à se protéger du froid, en bénéficiant de la couverture des toitures en hiver, en fabriquant des igloos ou en protégeant les cultures du gel. Ils l’ont également utilisée pour se déplacer en fabriquant des traineaux, ou bien pour stocker le foin dans des fenils implantés dans les estives en été et le redescendre en hiver grâce à de grandes luges. On pourrait même dire qu’une des caractéristiques essentielle de l’humanité est d’imaginer sans cesse le parti qu’elle pouvait tirer de son environnement naturel pour le transformer en ressources potentielles

L’espace support de médiation et de déploiement des activités, des interactions sociales et des significations imaginaires et symboliques

Cet espace actantiel est non seulement le réceptacle, le lieu, la scène, sur laquelle se réalisent les activités et les interactions sociales, mais également le support, le point d’appui qui les rend possibles, l’une de leurs conditions de possibilité. A l’instar de Giddens, nous considérons en effet qu’il n’y a pas de pratique ou d’interaction sociale « atopos », indépendante d’un contexte spatial et qui plus est spatio-temporel (Giddens ).
Ce contexte spatial ne produit pas ces pratiques et il les prescrit encore moins, comme certains le pensent, mais il ne s’agit pas d’un simple décor. Il contribue, parmi de nombreux autres facteurs, à les générer et il influence de manière décisive leur développement.

Il s’agit d’un support actantiel au sens où ses caractéristiques propres ne suffisent pas à produire des pratiques, mais elles peuvent rendre possible et favoriser certaines pratiques. La métaphore du banc public illustre parfaitement ce phénomène. L’implantation d’un banc le long d’une allée ou dans un jardin ne conduira pas systématiquement ceux qui passent devant à l’utiliser et s’y asseoir, mais il leur offre cette possibilité. Sans la présence de banc on n’a guère de chance de pouvoir s’asseoir, sauf à s’asseoir par terre de manière très inconfortable, en risquant de se salir, de se faire piquer par les insectes et d’avoir du mal à se relever. Mais qui plus est la présence d’un banc « invite » à s’asseoir, on a le sentiment qu’il nous tend les bras (métaphore projective qui prend là son sens car elle est de l’ordre de la perception et non une réalité objective). Cet objet a donc une fonction incitative, il incite à agir d’une certaine manière et il peut générer de multiples significations. Et on se rend compte que cet objet très banal peut générer une grande diversité de pratiques : les personnes âgées s’y reposent, y font la sieste ou discutent avec leurs voisines, on peut y lire un livre ou son journal, bécoter sa compagne comme dirait Brassens. Les enfants inventent une foule de jeux, tandis que les SDF en font leur maison et leur chambre à coucher. On peut tout simplement aussi s’y assoir pour rêvasser un moment. Et l’utilisation de cet objet peut aussi générer des conflits entre ses différents usagers. Mais ce qui devient intéressant, c’est que les pratiques et les significations que cet objet peut susciter varient fortement selon sa conception, qui concerne à la fois sa localisation, sa disposition dans l’espace, l’environnement dans lequel il est placé, les aménagements qui l’accompagnent. Les bancs n’ont pas tout à fait le même usage et ne prennent pas vraiment le même sens lorsqu’ ils sont situés en plein soleil le long d’une voie express, ou dans un parc ombragé ou bien encore dans une clairière face à un magnifique paysage de montagne. On ne ressent pas tout à fait la même chose lorsqu’ on est assis sur un méchant banc en béton inconfortable ou bien sur un banc en bois vernis dont le dossier épouse la forme de votre dos et qu’il est muni d’un appui tête. En fait selon sa conception et son implantation, il ne s’agit absolument pas du même banc, il n’est pas porteur des mêmes significations et ne favorise pas les mêmes pratiques.

En tant que facteur contribuant au développement des pratiques et des interactions sociales l’espace a une caractéristique très particulière : il s’agit d’un support de médiation multi-dimensionnel. Il opère une médiation entre les gens qui l’occupent, qui son mis en relation par son intermédiaire, par le simple fait d’en partager l’usage, par la co-présence qu’il organise. Il opère également une médiation entre les acteurs publics qui le produisent et le gèrent et les citoyens qui l’utilisent. Il constitue un support d’appartenance. L’espace joue ainsi un rôle d’organisateur social, d’organisateur des interactions sociales
Il médiatise de multiples significations qui sont projetées sur lui. A ce titre c’est un support et un catalyseur de significations qui s’y condensent. Il a une propriété étonnante, car c’est un support de « métonymisation » des significations, de projection métonymique très efficace. L’espace recueille en effet les significations conférées aux activités qui s’y déroulent ou au statut de ses occupants. Quand des activités prestigieuses (centre d’affaire ou musée par exemple) sont implantées dans un quartier il se trouve valorisé et à contrario il se dévalorise lorsque des activités peu nobles, comme des activités logistiques, y sont implantées. De manière homologue, lorsqu’un quartier est peuplé de gens ayant un statut dévalorisé, il tend lui-même à être dévalorisé socialement et économiquement. Inversement, un quartier qui se dégrade et qui de ce fait se dévalorise contribue à dévaloriser ses occupants. C’est donc par la médiation des significations projetées sur l’espace, qui imprègnent l’espace, que se forgent les significations conférées aux activités et aux individus qui le pratiquent.



4 Les formes de potentiel urbain

Les potentiels liés aux configurations géographiques et topographiques des sites

La configuration géographique et la topographie des sites peuvent offrir des potentialités de développement particulièrement intéressantes.
On sait que les sites de collines ont constitué des lieux privilégiés d’implantation des villes, à commencer par Athènes et Rome, mais c’est aussi le cas de Florence, de Sienne, de Lyon ou Paris, où les collines ont été mises à profit pour organiser le développement urbain. Dans de nombreuses régions les collines ont été utilisées soit pour protéger les villes des inondations, soit pour leur valeur défensive, comme c’est le cas en Provence, en Sardaigne ou en Sicile.
Les lacs offrent également des environnements particulièrement agréables, comme en témoignent des villes comme Chicago, Genève, Zurich, Lucerne, ou bien Annecy. Les bords de rivières et des fleuves ont suscité la création de nombreuses villes, à la fois parce qu’ils permettaient la navigation et l’approvisionnement des villes et qu’ils favorisaient le développement du commerce, tout en assurant une protection contre les envahisseurs. Les villes développées en bordure de fleuve sont innombrables, qu’il s’agisse de Londres, de Vienne, de Lisbonne, de Séville, de Lyon, de Strasbourg, de Turin, de Florence, de Rouen…etc.
Les bords de mers ont permis le développement des ports et plus récemment des stations balnéaires, ports tels que Venise, Gênes, Anvers, Amsterdam ou Rotterdam qui ont joué un rôle décisif dans le développement économique de l’Europe à partir de la Renaissance, et plus récemment Barcelone, New York, San Franscisco, Hong Kong, Tokyo ou Shangaï.
Les lieux entourés de montagne ou bien situés à leur pied constituent également des environnements très agréables, la vue sur les montagnes étant offerte à l’ensemble des habitants, quelque soit leur statut. C’est le cas de Vancouver, de Turin, de Grenoble, de Bergame, de Salzbourg.
Certaines villes bénéficient de la conjonction heureuse de plusieurs de ces facteurs. Elles peuvent être à la fois en bordure d’un fleuve mais proches de son embouchure sur la mer comme Londres, Rotterdam, Séville, Rouen, Porto ou Lisbonne, ou bien à proximité d’un lac et entourées de montagne comme Genève, Zurich et Annecy, ou bien encore proches d’un fleuve et des montagnes comme Turin et Grenoble. De nombreuses villes occupent un site de colline à proximité d’un fleuve comme Florence ou Paris.
Il importe donc d’examiner comment le potentiel urbain que peut représenter l’environnement géographique a été exploité par les villes au cours des siècles




Le potentiel paysager
En partie lié à l’environnement géographique et aux conditions climatiques, mais dans une large mesure façonné par l’activité humaine, le potentiel paysager d’un site constitue un support très important du développement urbain durable.
A ce titre il convient de distinguer le potentiel paysager offert par l’environnement large, qui peut tenir à la proximité de collines, de montagnes, de la mer, d’un lac ou d’un fleuve évoqués précédemment, et l’environnement proche du site, ainsi que les éléments paysagers dont dispose le site lui-même ou qui peuvent y être aisément développés. Il peut s’agir d’éléments «  naturels », bien qu’également tributaires de l’activité humaine tels que les forêts, ou bien d’aménagements paysagers urbains comme les parcs, les squares, les avenues arborées, les massifs de fleurs…etc.
Ces éléments adoucissent la minéralité de l’espace urbain, apportent de la fraicheur en été, nourrissent la bio-diversité et offrent un plaisir esthétique non négligeable. Mais les espaces paysagers sont également des supports de pratiques qui favorisent les interactions sociales (promenades, lieux de repos et de pique nique, activités sportives, implantation de jeux pour enfants…) Ce sont aussi des supports de développement de l’identité urbaine qui représentent comme nous le verrons un « potentiel identitaire socio-spatial ». A Marseille même les habitants des quartiers d’habitat social situés au nord de la ville ont souvent vue sur le port et sur la mer, ce qui constitue pour eux un plaisir renouvelé mais surtout fait qu’ils se sentent vraiment Marseillais, car le port et la mer sont des éléments fondateurs de l’identité de la ville. De la même manière les habitants des villes de la région Rhône Alpes, comme Grenoble ou Chambéry, y compris ceux qui vivent dans les quartiers d’habitat social, sont entourés de montagne, ce qui est une source de plaisir esthétique pour eux mais plus encore un symbole identitaire qui nourrit leur sentiment d’appartenance à la région.
A une autre échelle la proximité d’une forêt ou d’un parc, d’un mail ou d’une belle avenue arborée, confèrent une identité particulière aux quartiers qui en bénéficient et aux habitants qui y vivent. Des éléments comme les jardins ouvriers, ou bien les aménagements paysagers entourant les maisons et longeant les rues en font également partie. Dans certaines régions des plantes particulières ont une valeur emblématique de la culture paysagère locale : la lavande et les lauriers roses en Provence, les hortensias en Bretagne, les sapins dans les Alpes, la bignone en Italie.

Les potentiels d’infrastructures et de développement économique
La localisation des villes, les infrastructures et les activités qu’elles ont développées, notamment les infrastructures de transport, leur offre un certain potentiel de développement économique. Mais ce potentiel dépend tout autant des compétences des élites économiques et politiques et de la main d’œuvre locale, des politiques de développement de la formation et de la recherche qu’elles ont mises en œuvre.
La localisation des sources d’énergie et de matières premières, qui jouaient autrefois un rôle majeur dans l’implantation des entreprises, a désormais une influence très limitée sur le développement économique. La qualité de l’environnement urbain et des équipements publics (cf infra) deviennent de plus en plus des facteurs déterminants du développement économique
Le potentiel d’équipements et de services, leur accessibilité et leur mode de fonctionnement
Le développement urbain d’un site dépend aussi du potentiel d’équipements et de services qu’offre son environnement. Nous avons déjà évoqué le rôle des équipements de recherche et d’enseignement, mais il faut également prendre en compte l’ensemble des équipements et des services, tels que les hôpitaux, les équipements commerciaux, les équipements culturels ou de transport, ainsi que tous les services publics.
Mais le potentiel que représentent ces équipements et ces services dépend pour une large part de leur accessibilité et de leur mode de fonctionnement. Dans une perspective de développement urbain durable nous verrons qu’un enjeu majeur consiste à améliorer leur accessibilité et de mutualiser leurutilisation. Il s’agit d’utiliser au mieux le potentiel d’infrastructures, d’équipements et de services existants, d’en faire bénéficier les habitants des nouveaux sites aménagés, en favorisant notamment leur rénovation, plutôt que d’en créer de nouveaux à grands frais.

Le potentiel d’historicité
La qualité urbaine est nourrie par les bâtiments, les monuments et les aménagements urbains légués par l’histoire, par l’historicité des lieux. Ces traces du passé nourrissent l’ancrage des individus dans l’histoire et leur sentiment d’appartenance à la société qui sont indispensables à leur développement. Tout comme le paysage, ce sont des sources de plaisir et des supports identitaires.

Le potentiel socio-culturel
Le potentiel culturel est constitué de tous les éléments qui contribuent à façonner la culture locale ou qui rappellent sa culture passée. Il inclut donc le potentiel d’historicité évoqué précédemment, ou bien certains éléments du potentiel paysager qui sont propres à la culture locale, comme les jardins ouvriers dans certaines villes de la banlieue parisienne ou bien les « hortillonnages »  à Amiens, qui sont des cultures maraichères développées dans des zones marécageuses sillonnées de canaux.
L’architecture régionale vernaculaire comme les chalets suisses, les maisons en ossature bois colorées en Europe du nord, les mas provençaux, les maisons en granit bretonnes, les maisons à colombage alsaciennes ou normandes en font bien évidemment partie. On pourrait y ajouter les cités jardins, qui à travers l’Europe témoignent d’une conception culturaliste de l’urbanisme rapidement écrasée par le fonctionnalisme et d’une certaine utopie sociale. Parfois c’est un matériau qui peut avoir une valeur symbolique locale, comme la brique en Hollande, en Belgique et dans le nord de la France, le granit en Bretagne, les constructions en bois dans les Alpes déjà évoquées. L’architecture moderne tend à mépriser ces formes architecturales vernaculaires alors qu’elles nourrissent l’imaginaire et l’identité de leurs habitants.
Il inclut les lieux et les équipements qui ont une valeur emblématique, tels les musées bien sûr :le British Museum à Londres, les musée du Prado à Madrid et le Gugenheim à Bilbao, le musée du Louvres et le Centre Pompidou à Paris. Mais il comprend aussi des stades de football ou de rugby prestigieux, comme Wembley à Londres, le Stade de France à Paris ou le Stade vélodrome à Marseille, le stade Bernabeu à Madrid et le « Camp Nou » à Barcelone.
Les centres de concert fameux, qui sont de véritables temples de la musique, et les grands opéras sont à prendre en compte : la Fénice à Venise, la Scala de Milan, le Capitole de Toulouse, Concert Hall à Londres le Stadt Oper de Vienne.
Mais au-delà de ces « monuments de la culture » la moindre église, le plus petit palais, qui ont une valeur symbolique pour les citadins doivent être pris en compte.

Le potentiel identitaire socio-spatial
Nous avons déjà évoqué trois éléments majeurs qui participent à la formation des identités urbaines - le potentiel paysager, le potentiel d’historicité et le potentiel culturel - et qui à ce titre font partie de ce que nous appelons le « potentiel identitaire socio-spatial ». Ce potentiel est constitué de tous les éléments ayant une valeur symbolique que l’espace urbain recèle et qui contribuent de ce fait à nourrir l’identité des habitants. Mais ce potentiel inclut également des éléments comme des parcs de jeux, des bâtiments remarquables, des avenues ou des places agréables, des marchés qui se tiennent quelques jours dans la semaine, des équipements sportifs, des commerces ou des bistrots.

Le potentiel d’animation urbaine et d’interactions sociales
Certains lieux urbains, en raison de leur conception et de leur mode de gestion, ont favorisé le développement d’activités et une importante animation urbaine. Ils contribuent de ce fait à générer des interactions sociales. C’est le cas de certaines rues ou de certaines places. Il peut s’agir de parcs ou de squares, d’équipements culturels ou sportifs. La conception des projets urbains doit donc s’efforcer de préserver ces ambiances et de les développer.

Le potentiel climatique en termes culturel, d’énergie, d’éclairement et de ventilation naturelle
Nous évoquerons également le potentiel climatique qui est d’une autre nature que le précédent, mais qui s’y rattache d’une certaine manière. Le climat conditionne pour une part les modes d’habiter et les pratiques sociales, et d’une certaine manière les interactions sociales. On imagine aisément que l’utilisation d’un balcon ou d’une terrasse est plus agréable dans les pays méditerranéens qu’en Europe du nord, et ces espaces ont favorisé le déploiement de pratiques sociales particulières.
Le climat de chaque région participe à la formation de son identité et favorise certaines cultures d’adaptation à l’environnement. On sait que les marins ou les montagnards, et à fortiori les lapons, soumis à des conditions climatiques particulièrement rudes, ont développé des capacités d’adaptation à l’environnement étonnantes. Mais c’est aussi le cas des habitants des pays très chauds. Ces capacités doivent être considérées comme faisant partie intégrante des cultures locales.
Les conditions climatiques nécessitent une adaptation des techniques de construction et de l’aménagement urbain que le fonctionnalisme a eu tendance à effacer, en favorisant le développement de techniques identiques sur toute la planète. Ces conditions amènent à tenir compte du potentiel d’énergie solaire ainsi que du potentiel d’éclairement naturel qu’offre chaque environnement particulier. Mais il conduit également à prendre en compte le sens des vents dominants et leur importance, afin de protéger les espaces particulièrement ventés, mais aussi d’utiliser cette force du vent pour assurer la ventilation naturelle des immeubles, comme vient de le faire l’urbaniste N. Michelin lors de la conception d’un programme d’habitat en bordure de mer à Dunkerque.

5 L’état des potentiels urbains

Ce qui précède nous conduit à considérer l’espace comme un potentiel de ressources pour ses usagers, au sens ou il peut potentiellement favoriser un déploiement d’activités, de pratiques, d’interactions sociales et de significations. Selon ses caractéristiques il représente un potentiel plus ou moins riche. Le fait de disposer de places, de parcs, de nombreux équipement, permet potentiellement que de multiples pratiques et diverses significations puissent se greffer sur l’espace. Mais on a vu à propos des bancs publics que ce potentiel va aussi dépendre de la conception de ces aménagements.

L’espace représente également un potentiel dans un autre sens. Nous considérons le « potentiel urbain » comme certaines caractéristiques de l’espace qui ne sont pas mises en valeur, qui ne sont pas utilisées ou utilisables en l’état pour différentes raisons. Il s’agit d’éléments spatiaux qui sont disponibles à proximité, ou qui pourraient l’être aisément, qui ne sont pas actualisés ou activés, mis en acte. Nous avons vu qu’il peut s’agir d’un environnement paysager, d’équipements proches, de certains aménagements, qui peuvent valoriser un espace ou rendre possible différentes pratiques.
Nous allons examiner les différents types de situations dans lesquelles un potentiel urbain peut exister de manière latente, voire virtuelle, car il n’est pas exploité, et les modalités permettant de l’activer, de le rendre actif.
Les éléments qui représentent un potentiel de développement peuvent être disponibles dans l’environnement et il suffit alors de les exploiter
On peut distinguer schématiquement trois types de potentiels urbains :
-les potentiels existants, qui sont présents dans l’environnement sur lesquels un projet de développement peut s’appuyer et qu’il suffit d’exploiter
-les potentiels qui peuvent être générés par des actions de requalification ou des aménagements limités
-les éléments qui peuvent constituer un potentiel de développement mais qui nécessitent des aménagements importants pour être exploitables
Mais avant cet examen il convient de signaler que de nombreuses formes de potentiels sont souvent niées, effacées ou détruites

5-1 La négation ou la destruction des potentiels de l’espace urbain.

-la multiplication des espaces résiduels ou interstitiels
Certains modes de conception peu soucieux à la fois de l’économie de l’espace et de la cohérence du développement urbain conduisent à multiplier les espaces résiduels ou interstitiels sans vocation et inutilisables. Ces espaces induisent des dépenses de gestion inutiles ou bien tendent à être laissés à l’abandon et contribuent ainsi à dégrader les espaces urbains. C’est notamment le cas lorsque les concepteurs « posent » leurs immeubles au milieu des parcelles, souvent de biais, de manière à les mettre en scène

-la négation ou la destruction des espaces valorisants supports de pratiques sociales
Certains modes de conception urbaine ignorent le potentiel que peut receler les espaces qu’ils aménagent ou bien vont jusqu’à le nier. C’est notamment le cas du fonctionnalisme urbain qui s’efforce d’effacer les contraintes de la topographie au lieu de prendre appui sur elle
Mais la négation peut aller jusqu’à la destruction de ce potentiel urbain, par exemple en comblant des lacs, en rasant des forêts, en implantant des voies expresses sur les berges d’une rivière proche, en coupant des accès à des espaces centraux. Là encore le potentiel existe, il est donné, mais il arrive fréquemment qu’il ne soit pas utilisé, voire qu’on le détruise.

-la destruction de l’historicité des espaces urbains
Le mouvement de destruction de la qualité architecturale des quartiers anciens dans les années 70 par les tenants du modernisme à tout crin ne s’est jamais réellement arrêté. Ce faisant on détruit la valeur d’historicité dont ces quartiers sont porteurs, valeur qui représente un capital culturel très important.

-la destruction de la qualité urbaine des rues par des façades aveugles ou des bâtiments en retrait
Ce mouvement de destruction du potentiel urbain peut prendre des formes moins brutales mais souvent plus pernicieuses. C’est notamment le cas lorsque les bâtiments sont implantés en retrait des rues ce qui contribue progressivement à détruire les fronts urbains, à les déstructurer et à les rendre tristes. Avec le développement durable, on voit se multiplier la création d’immeubles dotés d’ouvertures carcérales ou bien de pieds d’immeubles ou de façades aveugles, notamment lorsqu’elles sont orientées au nord pour réduire la consommation d’énergie. Cette tendance conduit à générer des univers urbains sinistres

-l’accumulation d’édicules techniques et d’espaces servants en bordure de rue
L’accumulation d’édicules techniques en bordure de rue (coffret ou transformateurs EDF, bornes d’alimentation en gaz, portes techniques…etc) dévalorise la qualité des rues. Ce phénomène est aggravé lorsque les rues sont transformées en « espaces servants » par l’implantation en pied d’immeuble des sorties de garage, des containers poubelles, des services de livraison des commerces. A New York les Avenues sont effectivement très urbaines mais la plupart des rues Est- Ouest sont de véritables dépotoirs dédiés à ces fonctions.

-l’absence d’attention au traitement des limites des emprises des bâtiments
On a le même phénomène lorsque les concepteurs réalisent des constructions avec le plus profond mépris pour la qualité des articulations avec les immeubles ou les rues existants qui les jouxtent. C’est le même problème dans les opérations d’extension urbaine lorsque les concepteurs des nouveaux bâtiments qui sont implantés ne se préoccupent pas du développement futur du secteur et dévalorisent les terrains alentour par les aménagements qu’ils réalisent, ce qui conduit souvent à stériliser ces espaces contigus.

-l’implantation de nappes de parkings ou d’équipements sportifs en bordure de rue
L’implantation de nappes de parking ou de gigantesques équipements sportifs tels que les stades ou les gymnases en bordure de rue dévalorise ces espaces et les rend sinistres, détruisant toute possibilité d’animation urbaine.

-la stérilisation des espaces urbains par les logiques routières et les voieries surdimensionnées
De nombreuses villes sont lacérées par des voies routières surdimensionnées qui crèent des coupures, constituent des emprises énormes et empêchent de créer des fronts urbains le long de ces axes de communication, sans compter les surfaces minéralisées inutilement et les problèmes d’écoulement des eaux que cela génère. Il n’est pas rare que ces routes soient redoublées par des voies de desserte qui aggravent cet éventrement.
5- 2 Les potentiels urbains existants non exploités dont la mobilisation requiert des actions limitées

Dans un site donné ou dans son environnement des éléments spatiaux peuvent exister, peuvent être donnés, être disponibles, mais ils ne sont pas réellement exploités car ils sont quelque peu déqualifiés. Or ces potentiels pourraient être mobilisés aisément à travers des actions de requalification ou d’aménagement relativement limitées.

-des espaces déqualifiés :
Un site peut disposer d’espaces de jeu, d’équipements intéressants mais leur dégradation fait qu’ils sont désinvestis, sont occupés plutôt par des groupes délinquants et contribuent de ce fait à dévaloriser le site et ses usagers

-les dents creuses, les intérieurs d’ilots et les espaces non affectés
Les villes, notamment les tissus de faubourg, sont truffés de dents creuses, de cœurs d’ilots ou d’espaces non utilisés, alors que le foncier en ville est de plus en plus rare et cher. Il est aisé d’y construire en accroissant la densité sans avoir à développer de nouveaux réseaux

-des espaces peu visibles ou difficilement accessibles
Certains sites peuvent être entourés d’espaces paysagés magnifiques, mais ils ne sont guère visibles depuis le site. Il peut s’agir d’une qualité paysagère de l’environnement lointain : paysage de collines, de montagnes, vue sur la mer ou bien de l’environnement proche : forêt, lac, bord de rivière. Il peut également s’agir de monuments, d’équipements prestigieux que l’on a du mal à percevoir : église, cathédrale, château, hotels particuliers, musées…etc
Dans d’autres cas certains de ces éléments potentiels sont tout à fait visibles mais ils sont parfois difficilement accessibles. De nombreux quartiers sont proches d’une forêt, d’un parc, d’une rivière, d’un équipement sportif, mais ils en sont coupés par de méchants grillages, par une voie expresse ou une voie de chemin de fer. On a parfois l’impression que les acteurs locaux ou les concepteurs se sont ingéniés à rendre difficile voire impossible l’accès à ces éléments qualifiants. C’est aussi le cas lorsque des quartiers sont de fait proches de la centralité urbaine, mais qu’il faut faire un large détour pour y accéder. C’est le cas notamment du quartier Bernon à Epernay

-des équipements et des services publics excluant les habitants
Dans de nombreux quartiers on peut constater que certains équipements existants sont de fait inaccessibles pour la majorité des habitants en raison de leur conception ou de leur mode de fonctionnement. C’est souvent le cas des équipements sportifs qui sont réservés aux associations sportives qui se consacrent à des compétitions. L’usage peut en être dissuadé par les horaires d’ouverture (fermeture pendant les WE et les congés scolaires), par les conditions d’utilisation, par la nature des activités tolérées…etc

-des équipements sous-utilisés
En lien avec ce qui précède, la conception mono-fonctionnelle de certains équipements ou leur mode de fonctionnement limitent de manière drastique leur utilisation. C’est notamment souvent le cas des équipements scolaires.
-des compétences inexploitées
Le potentiel urbain peut résider dans les compétences de certains acteurs ou de nombreux habitants auxquels on pourrait aisément donner la possibilité de les développer ou de les mettre à la disposition de la collectivité. Il peut s’agir :
- des capacités scolaires dont le fonctionnement des écoles ne favorise pas l’épanouissement,
-des capacités professionnelles qui ne trouvent pas à s’employer,
-de capacités sportives ou culturelles ignorées,
-des capacités relationnelles ou d’organisation de certains acteurs
-de capacités de médiation sociale, de gestion des conflits
-de capacités de jardinage ou de bricolage de gens qui pourraient former ou encourager leurs voisins à s’investir dans ce genre d’activités

5- 3 les potentiels urbains nécessitant des actions d’aménagement significatifs pour être mobilisables
D’autres types de potentiels urbains sont plus difficilement mobilisables car ils nécessitent des
actions d’aménagement plus importants.

Les potentiels d’espaces désaffectés ou en friche
Au-delà de la déqualification, certains espaces sont carrément désaffectés et laissés à l’abandon, alors qu’ils peuvent offrir un potentiel de développement considérable moyennant un réaménagement complet. C’est bien entendu le cas de nombreuses friches industrielles, sous réserve que les coûts de dépollution ne soient pas prohibitifs.

Les potentiels qui peuvent être générés par certains équipements (cf les gares)
De nombreux équipements génèrent autour d’eux des potentiels urbains souvent inexploités, voire détruits par leur mode de conception mono-fonctionnel. C’est tout particulièrement le cas des gares, autour desquelles peuvent se greffer d’autres équipements, des commerces, des services, des immeubles de bureaux ou d’habitat. Elles génèrent en effet des flux de plusieurs milliers de personnes matin et soir: en région parisienne 15 000 personnes fréquentent la gare du métro régional RER Sarcelles-Garges, 70 000 habitants utilisent celle de St Quentin en Yvelines. Les promoteurs sont intéressés d’y construire et les habitants de s’y installer en raison des facilités de transport et des services qu’elles peuvent offrir.
Or les gares sont souvent sinistres et insécures, elles sont uniquement conçues pour que les gens puissent monter et descendre des trains, elles sont entourées de nappes de parking ou de hangars qui stérilisent là aussi tout développement et toute animation urbaine.

Les potentiels qui peuvent être générés par la mise en relation de différents espaces et par la synergie entre différents équipements
Certains espaces urbains sont atones, peu valorisés, alors qu’ils disposent de différents éléments intéressants mais ceux-ci sont isolés, cloisonnés, sans aucune liaison. Or il suffit parfois de relier ces éléments et de réaliser un aménagement qui permet de les articuler : une placette, des commerces, un square. C’est notamment le cas du quartier de La Reynerie à Toulouse, situé à proximité d’un magnifique lac paysager et qui bénéficie d’une station de métro. Or cette station de métro ce limite à un méchant escalier et à un poteau indicateur planté sur un immense parking dégradé qui borde le lac. Il n’y a même pas un banc pour s’asseoir au bord de ce lac. Les immeubles d’habitation sont coupés du lac par ce parking sinistre.

Les potentiels générés par la réalisation de projets articulés
Les villes favorisent parfois la réalisation divers projet dans le même secteur, mais ceux-ci sont souvent conçus isolément, de manière dissociée, sans lien mais surtout sans qu’ils soient pensés de manière articulée. Or leur articulation permet de mutualiser les services et les équipements, d’améliorer la desserte des transports en commun alors que chacun d’eux ne justifie pas un tel effort. Ceci tient au fait qu’il sont réalisés par des maîtres d’ouvrage et des concepteurs différents, obéissant chacun à leur logique mono-fonctionnelle propre : des promoteurs d’habitat, de commerces, de bureaux, d’équipements publics qui s’ignorent, alors que paradoxalement l’articulation de leurs investissements générerait de la valeur, des services et de l’attractivité urbaine. En outre la conception isolée de ces projets génère à leur périphérie des espaces résiduels inexploitables.
On peut citer l’exemple du secteur des Hauts de Poissy ou trois projets dissociés étaient envisagés : la rénovation d’une cité HLM, un programme d’habitat doté d’un centre commercial et le réaménagement du site occupé par un hôpital qui doit être déplacé. Un dispositif de concertation entre les différents promoteurs animé par la Ville de Poissy a permis de concevoir une stratégie de développement urbain intégré permettant à ces différents projets de s’articuler et de s’étayer mutuellement.

Les pôles de centralité potentiels liés aux évolutions urbaines émergentes et à venir
Une attention particulière doit être accordée aux sites qui peuvent devenir potentiellement des pôles urbains en raison des éléments qui les composent déjà, des disponibilités foncières qu’ils offrent et de l’évolution du tissu urbain dans lequel ils s’inscrivent. C’est souvent le cas de certains sites de banlieue situés en limites d’urbanisation qui étaient dévalorisés et peu attractifs et qui sont progressivement englobés par le développement urbain des agglomérations. En l’état ils paraissent peu intéressants, parfois dégradés, mais si on les resitue par rapport au passé et dans une perspective d’évolution de leur environnement à 10 ou 20 ans, ils recèlent souvent un potentiel de développement remarquable.
C’est notamment le cas de sites en banlieue parisienne dotés d’une station de métro ou d’une gare du métro régional RER (cf supra), vers lesquels convergent des lignes de bus, déjà dotés de nombreux équipements (écoles, commerces), bénéficiant parfois d’une belle rue arborée qui constitue potentiellement un boulevard urbain, avec autour des terrains en friche ou transformés en parkings. Le secteur urbain du Fort d’Aubervilliers situé au carrefour de la route nationale 2 que nous avons analysé avec de nombreux stagiaires de l’Ecole de la Rénovation Urbaine fournit une illustration exemplaire de ce genre de potentialité. Outre l’ancien fort militaire qui peut devenir un équipement et un parc très attractifs, il bénéficie d’une station de métro le reliant directement au centre de Paris ou convergent plusieurs lignes de bus, de la présence du cirque équestre Zingaro qui attire de nombreux Parisiens, de nombreux équipements publics et de plusieurs commerces. Une rue arborée très intéressante y conduit (la rue Casanova) dont les trottoirs et les berges sont actuellement très déqualifiés mais qui pourrait devenir un magnifique boulevard urbain. Une grande partie de cet espace est actuellement occupé par une nappe de parkings particulièrement triste représentant environ un hectare, mais qui pourrait devenir une place très agréable. Des immeubles de logements sociaux très dégradés sont également situés à proximité, mais ils sont dotés d’espaces extérieurs peu aménagés qui représentent également un potentiel remarquable pour créer un véritable square de proximité et développer l’habitat.
Les responsables politiques locaux pourraient trouver là l’opportunité de créer des pôles de centralité et d’animation urbaine qui font tellement défaut aux villes de banlieue. Mais les acteurs tendent à se représenter ces lieux en fonction de leur passé et de leur situation actuelles souvent dégradée, sans parvenir à prendre en compte la dynamique urbaine dans laquelle ils s’inscrivent, et surtout à se projeter pour imaginer ce qu’ils peuvent aisément devenir à 10 ou 20 ans.


5-4 Une conscience souvent limitée des potentialités que recèlent les territoires liée à la culture et aux représentations des acteurs
On peut se demander pourquoi très souvent les potentialités que recèlent les territoires que nous avons évoquées ne sont pas prises en compte et développés dans le cadre des nouveaux projets d’aménagement ou de renouvellement urbain.
Il arrive que ces potentialités ne soient pas aisément repérables. Il arrive aussi que l’on ne puisse identifier certains potentiels qu’en se projetant dans l’avenir, car c’est le développement urbain futur des villes, à 20 ou 30 ans , qui va faire que certains lieux actuellement en désuétude peuvent acquérir une valeur importante et devenir des supports de création d’un environnement urbain agréable. Mais il est indispensable de repérer dès maintenant ces potentiels afin précisément que les aménagements urbains actuellement projetés ou à venir ne l’ignorent pas ou pire encore ne les détruisent. Certaines villes découvrent parfois vingt ans après qu’elles ont détruit des immeubles, voire des quartiers entiers qui avaient en fait une grande valeur architecturale. Elles se rendent également compte souvent tardivement qu’elles ont réalisé des aménagements qui ont détruit un potentiel paysager de grande valeur, ou bien qu’elles ont implanté des équipements qui stérilisent des sites stratégiques ou qui bloquent leur développement futur.
Mais il est également fréquent que les acteurs locaux ou les concepteurs, en raison de leur idéologie ou de leur culture professionnelle, ne soient pas conscients des potentiels que recèle leur territoire. Les représentations qu’ils ont de leur environnement urbain, forgée par cette idéologie ou par cette culture professionnelle, font qu’ils ne les remarquent même pas, bien qu’ils arpentent souvent leur territoire.
En effet, des acteurs peu sensibles à la qualité des paysages ne se rendent pas compte du potentiel qui peut entourer un quartier. De la même façon des élus locaux enseignants ou responsables des associations sportives légitimeront sans sourciller la spécialisation et la faible utilisation des équipements collectifs, et le fait qu’ils soient réservés à certaines catégories d’utilisateurs.
Des responsables locaux soucieux de « moderniser » des quartiers ou de développer des activités « high tech » n’hésiteront pas à démolir un quartier de faubourg qui tend à se dégrader ou se mêlent de multiples activités artisanales et commerciales, ou se côtoient des formes et des statuts d’habitat vernaculaire très variées, dans lequel règne une ambiance urbaine très vivante, ou les interactions et les relations de solidarité entre les habitants et les gens qui viennent y travailler sont très développées. Bref un quartier bénéficiant d’une mixité sociale et fonctionnelle correspondant précisément au crédo affirmé par les défenseurs du développement durable. Or la modernisation brutale d’un tel quartier ne peut que détruire cette mixité et cette ambiance urbaine.

6. Les principes de Conception des projets d’amenagement visant a DEVELOPPEr le POTENTIEL URBAiN
Dans cette perspective nous considérons les villes comme des lieux riches de potentiels inexploités en termes économique, culturel, social, identitaire, qu’il s’agit donc de valoriser et de développer. Ce potentiel peut tenir à la fois à l’organisation et aux formes urbaines, à l’environnement paysager, aux espaces et aux équipements publics, à l’héritage architectural, aux ambiances urbaines, aux espaces disponibles ou réaménageables…etc.
Nous proposons un certain nombre de principes de conception qui, à notre sens, constituent les fondements d’une véritable conception du développement urbain durable, conception qui va bien au-delà de « l’Approche Environnementale de l’Urbanisme », ou du moins de l’interprétation techniciste et réductrice qui en est faite en France.
Considérer la ville comme un lieu créateur de valeurs économiques et symboliques et d’interactions sociales
La problématique de développement urbain durable fondée sur le déploiement du potentiel urbain que nous proposons pose la ville comme un lieu offrant non seulement de multiples « commodités »,  pour reprendre l’un des concepts majeurs d’Alberti, mais également comme un lieu créateur de valeurs économiques et symboliques, d’interactions sociales et d’activités culturelles. Les désagréments et les multiples pollutions qu’elle peut générer doivent être mesurés à l’aune de ses capacités créatrices. Autrement dit, il s’agit moins de se focaliser sur la réduction des consommations et des déchets que produit la ville que de s’efforcer d’accroître son efficacité économique et sociale. Les indicateurs couramment utilisés pour mesurer l’efficacité du « métabolisme urbain » ne sont pas nécessairement les plus pertinents. On peut en effet imaginer des villes particulièrement performantes en termes de consommation d’eau et d’énergie par habitant, générant peu de pollution, mais où les gens ne se déplacent plus, ne sortent plus de chez eux, n’ont plus d’activité sociale hormis le travail, car l’espace public est triste et morne et n’offre aucun attrait.

Considérer l’espace comme une ressource rare et précieuse
Au lieu de seulement se focaliser sur l’économie des ressources telles que l’énergie et l’eau, qui sont certes très importantes, une approche du développement urbain en terme de développement durable doit tout d’abord considérer l’espace comme une ressource rare et précieuse qu’il s’agit de préserver et de valoriser au mieux. Ce principe a plusieurs implications :
Ø  lutter contre l’étalement urbain et accroître la densité
C’est un objectif sur lequel tout le monde s’accorde, mais qui se heurte aux représentations que les habitants et de nombreux acteurs ont de la densité. Il suffit qu’un quartier soit composé de tours ou de bâtiments massifs pour qu’ils aient l’impression que sa densité est très élevée. On oublie par exemple que la densité de la majorité des quartiers d’habitat social périphérique ne dépasse pas 100 logements/hectare, contre 200 à 300 pour certains centres villes qui paraissent harmonieux. La densité de certains quartiers emblématiques comme La Grande Borne à Grigny ou Les Minguettes à Vénissieux est en fait inférieure à 50 logements/hectare, à peine supérieure à celle des quartiers d’habitat individuel en bande.
La faible densité entraîne bien entendu un gâchis d’espaces, mais elle accroît également les surfaces de voieries, la longueur des réseaux et augmente les coûts de la gestion urbaine.
Ø  substituer une logique urbaine à la logique routière en réduisant l’emprise des voies de circulation
Les voies de circulation continuent à s’étaler généreusement. Elles sont souvent surdimensionnées et parfois doublées de contre-allées. C’est souvent le cas dans une ville comme Toulouse. Cette conception correspond à une logique routière, qui se préoccupe seulement de la circulation des véhicules, sans se soucier des effets urbains qu’elle génère. Or ces voies routières crèent des coupures urbaines, dilatent l’espace, sont difficile à traverser pour les passants, sans compter le bruit et la pollution qu’elles produisent. Mais surtout il est difficile de développer des activités le long de ces voies et à fortiori de favoriser la création d’une animation urbaine. Il s’agit souvent d’espaces morts. La ville de Marseille souffre particulièrement des multiples voies routières qui la traversent en tous sens, là où il eût été possible de créer des boulevards urbains.
Outre la laideur et la tristesse que cette logique routière produit dans les villes qu’elle lacère, elle représente donc un gâchis économique considérable, en raison à la fois du gaspillage de l’espace qu’elle entraine, du coût exorbitant des aménagements qu’elle nécessite, et du fait qu’elle dévalorise les espaces qui bordent les voies
Ø    supprimer les vides urbains et les espaces résiduels
Les friches urbaines sont souvent nombreuses dans les villes (là aussi Marseille est particulièrement mal lotie) et il serait préférable de les exploiter au lieu de poursuivre les extensions urbaines.
Mais indépendamment de ces friches, les vides urbains tendent à proliférer. Les concepteurs, notamment lorsqu’ ils réalisent des équipements publics, tendent à poser les bâtiments au beau milieu des parcelles dont ils disposent, ou en retrait des rues, pour favoriser la mise en scène de leurs oeuvres. Ce faisant ils ne tiennent pas compte de l’environnement dans lequel ils s’insèrent, éventrant ainsi les fronts urbains et déstructurant l’espace. La qualité urbaine tient pour une part à la continuité des fronts bâtis et cette conception architecturale narcissique qui se fait au mépris de toute intégration urbaine finit par réduire les villes à une juxtaposition de bâtiments. Les Villes Nouvelles sont souvent particulièrement affligeantes à cet égard.
Il est intéressant de noter à ce propos que les équipements publics qui sont censés structurer l’espace urbain contribuent en fait souvent à le déstructurer. Le retrait des équipements par rapport aux rues se traduit par l’implantation de parkings en bordure de rue ou bien par l’installation de dizaines de mètres de clôtures faites souvent de méchants grillages dévalorisant l’espace. Il est vraiment choquant de constater que les organismes publics contribuent ainsi largement à la dégradation de l’espace public.
Ces vides urbains entraînent des charges de gestion inutiles et ils sont d’ailleurs souvent mal entretenus, ce qui accroit la dévalorisation des espaces qu’ils génèrent. En plus de ces vides urbains on assiste également à une prolifération des espaces délaissés ou résiduels, qui représentent également un gâchis foncier et qui entraînent des coûts de gestion inutiles, d’autant plus que leur configuration les rend souvent ingérables
concevoir les projets urbains de manière a generer un fonctionnement social harmonieux
Les projets urbains sont généralement conçus dans une logique fonctionnaliste. Dans cette logique il s’agit de distribuer des activités et des équipements et de les relier à des réseaux de circulation, sans réel souci de leur incidence sur les interactions sociales, les significations symboliques et l’identité qu’ils procurent aux habitants et aux usagers. Une conception en termes de développement durable a pour objectif d’assurer la cohésion sociale et de renforcer la citoyenneté. Il s’agit donc de se préoccuper en priorité des différents processus sociaux que peut générer la conception des projets urbains, les interactions entre ces processus contribuant à forger le fonctionnement social urbain d’un territoire
Ø    Favoriser la mixité sociale et fonctionnelle, la « mixité socio-urbaine » dans l’espace public
La mixité sociale et fonctionnelle constitue l’un des objectifs majeurs du développement durable. En réalité il est très difficile de promouvoir la mixité résidentielle et çà n’est souvent qu’un discours de l’intention, la cohabitation entre des classes sociales très différentes s’avérant en général problématique. Elle génère souvent des conflits ou bien se traduit par un repli, un isolement des différents groupes sociaux censés partager le même territoire. Par contre on peut plus aisément favoriser une certaine mixité sociale dans l’usage des espaces publics et favoriser ce que nous appelons la « mixité socio-urbaine ». Des groupes sociaux isolés dans leur espace résidentiel se côtoient et partage plus volontiers des espaces publics lorsque ceux-ci sont judicieusement conçus. Cela signifie que la conception des espaces publics constitue un enjeu majeur pour favoriser la mixité sociale.
Ø    Favoriser l’attachement symbolique aux lieux et le sentiment d’appartenance à la collectivité
Le renforcement de la citoyenneté constitue un autre enjeu majeur du développement durable. Or pour que les habitants se sentent citoyens de leur ville, il est nécessaire qu’ils éprouvent un sentiment d’appartenance à la collectivité. Ce sentiment d’appartenance est lui-même généré par la médiation de l’attachement symbolique aux lieux. On ne peut pas se sentir partie prenante d’une collectivité si on est indifférent aux significations symboliques dont son territoire est porteur. Or la valeur symbolique des territoires varie considérablement et il est difficile de s’attacher à des lieux atones, sans valeur particulière, voire sinistres. Le développement d’un sentiment d’appartenance nécessite donc de créer des identités urbaines différenciées.
Ø    Prendre en compte les attentes des habitants et des usagers actuels ou futurs
Il importe de fonder la conception des projets sur une compréhension des attentes des habitants et des usagers actuels ou futurs, et de les prendre en compte dans les processus de mise en œuvre. C’est assez aisé dans le cadre des projets de renouvellement urbain, plus difficile pour les opérations d’extension urbaine où les futurs usagers ne sont pas encore présents. Il est néanmoins possible d’anticiper sur ces attentes potentielles à travers une prise de connaissance des caractéristiques de ces futurs usagers, puisqu’ on connait généralement le profil des usagers qu’un aménagement va attirer. L’étayage des projets urbains sur le potentiel de l’environnement urbain et naturel et leur contribution en retour à son développement
Même si les études préalables font souvent référence au potentiel de l’environnement dans lequel doit s’inscrire un nouveau projet, la plupart de ces projets sont en fait conçus sans réellement tenir compte du potentiel que cet environnement peut leur offrir et sans vraiment chercher à s’articuler à cet environnement. Leur conception tend à se refermer sur le périmètre opérationnel qui leur est dévolu. Dès lors que l’on cherche à valoriser un espace il est indispensable de s’étayer sur ce potentiel qu’offre l’environnement, qui peut être lié à la qualité des espaces naturels ou des formes architecturales, aux services disponibles et aux possibilités d’emploi, aux identité urbaines…etc.
Mais il importe également d’être soucieux des incidences en retour des projets urbains sur leur environnement, de leurs « externalités », en veillant bien entendu à ce qu’ils n’entraînent pas leur dégradation, qu’ils ne privent pas par exemple les habitants de l’environnement de l’accès à certains équipements (en les obligeant à faire un grand détour) ou à des espaces naturels.
Un projet de développement urbain durable doit aussi se préoccuper de contribuer à la valorisation et au développement de l’environnement dans lequel il s’insert, en créant par exemple des emplois et des services utiles aux habitants. On constate souvent que des zones d’activité accaparent des espaces importants, mais elles sont fermées sur elles-mêmes et n’offrent guère d’emploi aux habitants du lieu et leurs employés ne s’installent pas à proximité. On peut également s’interroger sur la conception de certains éco-quartiers qui sont de véritables enclaves, sans réel lien avec leur environnement, et qui ne lui apportent pas grand-chose en retour.
Assurer l’articulation et favoriser les synergies entre les projets urbains implantés dans un site en développement
Dans les sites bénéficiant d’un fort développement de nombreux projets sont souvent mis en œuvre simultanément ou de manière successive. Ils sont généralement conçus de manière dissociée, sans réelle coordination, chaque maître d’ouvrage obéissant à sa logique propre et les concepteurs s’efforçant d’affirmer leur propre conception. Chaque projet tend à se fermer sur eux-mêmes, générant des contraintes aux projets voisins et pâtissant lui aussi en retour de cette juxtaposition.
Il faut non seulement veiller à cette articulation entre les projets, mais viser à créer des complémentarités et des synergies entre les activités et les services que chacun d’eux peut implanter. L’idéal est bien entendu de parvenir à mutualiser certains services qu’aucun projet ne peut lui-même s’offrir, mais qui peuvent être utiles à l’ensemble des entreprises, des employés ou des habitants concernés par ces différents projets.
Inscrire le développement urbain dans l’historicité
L’urbanisme et l’architecture modernes se sont posés en rupture par rapport aux formes du passé (du passé faisons table rase) jusqu’à vouloir en effacer les traces, alors que le développement des villes était fondé sur une évolution et des extensions progressives préservant les formes historiques auxquelles elles s’adossaient, ou bien dont elles s’inspiraient en les réinterprétant. Prague est une illustration remarquable de ce processus, puisque de nombreux bâtiments médiévaux ont fait l’objet de transformations gothiques avant d’être « baroquisés » selon l’expression succulente des Praguois. Cerda à Barcelone a sans doute été l’un des premiers a fustiger l’obsolescence de la ville médiévale qu’il fallait selon lui faire éclater pour y faire pénétrer les moyens modernes de communication qui le fascinaient.
Les Villes Nouvelles offrent l’exemple parfait de cette négation du passé et de la volonté de se mettre à distance des bourgs existants pour pouvoir développer librement des formes nouvelles, privant ainsi les habitants de toute possibilité d’étayage sur leur historicité, indispensable à la formation d’une identité urbaine. Une recherche que nous avons récemment réalisé sur les modes d’habiter en Ville Nouvelle montre que ces villes et la majorité de leurs habitants souffrent toujours de ce déficit d’identité qui les empêche de développer un sentiment d’appartenance et de se sentir réellement citoyens. De nombreuses années après leur installation beaucoup y vivent encore là comme s’ils étaient en transit.
Le développement urbain durable signifie une inscription dans la durée, avec la préoccupation du développement urbain futur des villes, de leur advenir, mais également le souci de préserver leur historicité, de s’appuyer, de s’étayer sur cette historicité pour concevoir cet advenir au lieu de s’acharner à la détruire.
Inscrire le développement urbain dans la temporalité: penser l’aménagement de manière à favoriser l’évolutivité des sites et le développement futur des villes
Il s’agit là d’un enjeu majeur du développement urbain durable, puisqu’il s’agit de penser le développement en fonction des générations futures, en l’inscrivant dans la temporalité alors qu’il est souvent conçu de manière atemporelle.
Ceci suppose de favoriser une conception des espaces et des constructions facilitant leur évolutivité, leur changement de vocation, leur transformation ou leur agrandissement. Cela implique de pouvoir modifier certains espaces ou certains bâtiments sans avoir à transformer l’ensemble d’un site, comme c’est notamment le cas des projets d’urbanisme sur dalle où toutes les constructions et les réseaux sont solidaires.
Il est encore plus important de penser les projets d’aménagement de manière à pouvoir assurer le développement futur des villes, sans avoir à transformer les voieries et démolir des bâtiments. Les projets de renouvellement urbain actuellement mis en œuvre dans de nombreux quartiers d’habitat social illustrent particulièrement bien ce problème, puisqu’il est souvent nécessaire de démolir des bâtiments d’excellente qualité pour pouvoir prolonger une rue ou la raccorder au réseau viaire et urbaniser des terrains disponibles. On a même parfois des terrains laissés en friche au beau milieu d’un espace urbanisé qu’il est difficile d’urbaniser, car on n’a pas préservé des espaces non oedificandis pour créer des voies permettant d’y accéder. Il suffit parfois d’un réseau ou d’un seul bâtiment mal implanté pour bloquer l’urbanisation de grands espaces.
C’est un thème que l’urbaniste François Grether défend depuis longtemps, qui consiste « à passer d’une urbanisation figée, fermée sur elle-même, à une « urbanisation ouverte ». En l’occurrence ouverte sur l’avenir, intégrant par avance les enjeux liés au devenir des villes, le rendant possible sans que l’on puisse pour autant préjuger de son contenu.
Développer des pôles d’urbanité pour créer des identités urbaines et des ambiances différenciées
Les projets urbains implantent les activités sans toujours s’assurer de la cohérence entre elles et sans chercher à créer des identités urbaines et des ambiances spécifiques. Quand on réalise un pôle technologique ou un pôle de recherche il ne suffit pas de disperser ces activités sur un territoire comme c’est souvent le cas pour créer un pôle urbain favorisant les interactions sociales et ayant une identité propre. La Cité Descartes à Marne la Vallée constitue un exemple typique de cette tendance à juxtaposer des activités de manière disparate.
De la même manière le renouvellement urbain de certains secteurs vise à améliorer l’organisation urbaine, notamment l’articulation entre les différents modes de transport, sans chercher à exploiter le potentiel de développement urbain qu’ils offrent.
La création de pôles d’urbanité ne se limite pas aux choix des activités et des équipements et à leur localisation, elle nécessite une grande attention dans l’organisation des circulations, dans le traitement du rapport aux rues de ces activités, la localisation des entrées et des stationnements, le choix des clôtures, la hauteur et le gabarit des bâtiments, les articulations entre les espaces, la qualification des pieds des immeubles et leur ancrage au sol… etc. Même avec une localisation judicieuse des activités on peut créer un univers atone voire mortifère si tous les bâtiments sont implantés en retrait des rues, si on offre essentiellement des pignons aveugles sur les rues et si les pieds d’immeuble sont également aveugles. De la même façon la succession d’immeubles uniformes, de grandes façades plates, crèe des ambiances assez tristes. Au nom du développement durable il n’est pas rare que l’on impose des façades aveugles sur les rues, dès lors qu’elles sont situées au nord.
Le développement des identités urbaines suppose aussi de s’étayer sur l’historicité des lieux, de favoriser l’ancrage dans cette historicité, alors que de nombreux concepteurs n’ont de cesse de la détruire.
Transformer les gares en pôle urbains
Pour développer les pôles d’urbanités il convient d’accorder une importance particulière à la conception ou à la requalification des gares. Le développement urbain durable vise à favoriser le développement des villes et des bourgs rattachés aux transports collectif. Mais pour renforcer l’attractivité de ces pôles il importe que ces gares soient elles mêmes attractives. En outre l’environnement des gares offre généralement un potentiel de développement des activités commerciales et des services et de l’habitat.
Or nous pouvons constater que la plupart des gares récentes et leur environnement, qu’il s’agisse des gares TGV, des gares ferroviaires de transport régionaux, mais aussi des gares routières ou des haltes de tramways qui font l’objet d’une grande fréquentation sont au mieux banales et plus généralement sinistres. La palme revient sans doute aux gares du RER en région parisienne, qui sont souvent dégradées et particulièrement glauques. Ce sont d’ailleurs souvent les pôles d’insécurité les plus problématiques des villes concernées.
FAVORISER L’ARTICULATION AVEC LES ESPACES PAYSAGERS ET FAIRE PENETRER LA NATURE DANS LA VILLE
Les citadins expriment un besoin de nature de plus en plus prononcé, comme en témoigne la fréquentation des squares ou le vif succès des jardins familiaux. L’attrait que peuvent exercer l’habitat péri-urbain et la maison individuelle sont pour une part non négligeable dus au déficit d’espaces naturels agréables dans les villes.
De nombreux quartiers sont en fait proches d’espaces naturels ou de parc attrayants, ou disposent de vues potentielles sur des environnements larges remarquables (collines, forêts, lacs) mais ils en sont souvent coupés par des bâtiments qui gâchent ces vues, ou bien ils sont difficilement accessibles car il faut traverser des voies routières pour s’y rendre, ou en faire le tour car ils sont entièrement clôturés et disposent d’une seule entrée. Il faut donc favoriser l’accessibilité à ces lieux, mais aussi de faire rentrer la nature dans les quartiers qui les jouxtent.
Il importe également de développer les plantations le long des rues, créer des parcs et des squares qui constituent des lieux attrayants, notamment pour les enfants, et qui offrent un peu d’ombre et de fraîcheur en été quand la température devient intenable. Ces espaces constituent des supports privilégiés pour le développement de la mixité socio-urbaine, l’expérience montre en effet que des personnes de générations et d’origines sociales très différentes peuvent s’y côtoyer sans heurt tout en déployant des pratiques sociales très variées.

Les transporteurs (comme les constructeurs des routes) ont une culture de la circulation (obéissant à l’injonction « circulez il n’y a rien à voir ») et ne considèrent généralement pas les gares comme des pôles d’activité urbaines et d’interactions sociales, alors que des milliers de voyageurs les fréquentent. Ces gares se limitent souvent à des quais d’embarquement, de vagues abris entourés de vastes parkings. Elles accroissent la pénibilité due aux contraintes de transport que subissent quotidiennement les usagers et contribuent souvent à la dévalorisation de leur environnement, alors qu’elles pourraient au contraire être des lieux valorisant les villes et contribuant à leur développement.
ADAPTER LES TECHNIQUES DE CONSTRUCTION ET D’AMENAGEMENT A L’ENVIRONNEMENT LOCAL
Nous avons évoqué le fait que le fonctionnalisme vise à développer des techniques de construction et d’aménagement standardisées, indépendamment du contexte dans lequel elles sont mises en œuvre, privant le développement urbain des ressources et du potentiel que recèle l’environnement. De plus ces techniques standardisées sont souvent inadaptées au climat et au contexte urbain. On connait notamment les effets problématiques de l’utilisation des toitures métalliques dans les pays tropicaux, ou bien l’installation de fenêtres équipées de double vitrage dans les immeubles anciens qui ne disposent pas de système de ventilation mécanique. En quelques années des immeubles centenaires en excellent état peuvent ainsi se dégrader et devenir insalubres.
Il s’agit donc non seulement d’exploiter les ressources de l’environnement, telles que l’énergie solaire ou les matériaux locaux, mais aussi de veiller à ce que les techniques employées ne s’avèrent pas peu efficaces, compte tenu des particularités de l’environnement dans lequel elles sont mises en œuvre, et qu’elles ne contribuent pas à le dégrader.
Prendre en compte les enjeux de la gestion urbaine future dans la conception des projets pour assurer la pérennité des investissements projetés.
Les projets urbains sont souvent conçus sans prendre en compte les enjeux de gestion urbaine, car les futurs exploitants sont assez rarement associés à cette conception. Ceci conduit à ce que les aménagements réalisés se dégradent rapidement car leur gestion s’avère problématique, ou bien les coûts d’exploitation sont prohibitifs. Le développement durable vise en effet à assurer la pérennité, la durabilité des investissements, mais aussi à réduire les coûts d’exploitation.
7-conclusion : Réintégrer les enjeux techniques environnementaux dans le cadre d’une veritable conception durable du développement urbain
La conception du développement urbain que nous préconisons ne fait pas l’impasse sur les enjeux techniques environnementaux, tels que les économies d’eau, d’énergie ou de gestion des déchets. Nous avons vu au contraire que dans ces domaines il s’agit également pour nous d’exploiter au mieux les ressources de l’environnement. Mais la « qualité environnementale » ne saurait se réduire à ces enjeux. La conception urbaine des projets ne doit pas être asservie à ces objectifs et aux choix techniques qui en dérivent, car on a vu que cela peut aboutir à générer des univers urbains tristes et invivables, même si cela peut offrir un habitat très confortable.
Les projets urbains doivent viser en priorité à générer un fonctionnement social harmonieux en activant les potentiels urbains de l’environnement, au lieu de les ignorer voire de les détruire, et c’est en fonction de cette approche que ces enjeux techniques doivent être traités.