vendredi 28 janvier 2005

Quelle forme urbaine aujourd’hui ?



Article rédigé par Jean Werlen
Le 28 janvier 2005 à 01:01
La question est simple mais multiple :
D’abord y a t’il plusieurs formes urbaines ?
Ensuite, comme l’histoire, qui parait il serait aboutie, la ville n’est elle pas “finie” ?
Enfin, mais cela découle de la réponse à l’interrogation précédente, faut il une forme urbaine datée, spécifiquement, de notre période ?
La multiplicité des formes urbaines est une évidence dès que l’on regarde par le hublot de l’avion. Quadrillée par un esprit militaire (Richelieu), ou rationaliste (Cerda à Barcelone & NY aux US), étirée le long des voies ou d’un fleuve, cernée par des murailles (Rennes) ou des frontières (Basel), jardinée par le pouvoir (Versailles), aérée ou densifiée par les dangers médiévaux, composée par une seule vision (Brasilia) ou violement spontanée (Le Caire) l’agglomération urbaine regroupe toutes sortes de typologies et de géographies. Le voyageur sait que chaque ville a son ambiance propre, les romans nous informent de leurs variations dans le temps.
Il y a donc multiplicité de formes urbaines en raisons des diversités de conditions de leurs élaborations. A l’intérieur de la même agglomération ces caractéristiques peuvent changer et glisser de l’une vers l’autre. Il peut même y avoir superposition de différents tissus, celui du Faubourg, et ses parcelles mesurées, avec celui du plan libre, et ses espaces verts, ou celui du «lotissement-flaque» La banlieue, elle-même, sans être réellement une forme urbaine oppose des modénatures différentes du centre, en raison principalement des écarts d’activités.
La richesse est infinie et la recomposition permanente. L’absence de recomposition aboutit soit à la fossilisation type «village médiéval préservé» ou cité folklorique soit à la «dé»composition forme de déchéance avancée.
La notion même de renouvellement est dans la nature de la ville et forme une garantie de pérennité. Complexe, il traite tous les paramètres : les habitants, les activités et les échanges, l’image et la fabrication de richesse immobilière, l’usage de l’espace et les équilibres public-privé. Le renouvellement, absurde, qui n’aurait comme volonté que le changement de forme est condamné mais celui qui n’en tient pas compte également. La ville n’est finie que morte, à l’image d’un monde organique auquel elle s’apparente beaucoup.
Dans ce contexte, la ville contemporaine se cherche. Il est vrai que la rupture de la modernité a déstabilisé tout le corpus des savoirs et consensus urbains. L’aventure urbaine avait été presque fluide depuis l’essor de la bourgeoisie (les habitants du bourg : terme germanique générique de l’agglomération). L’installation des pouvoirs successifs et des valeurs de plus en plus ouvertes, ont contribué aux mutations. Même le changement d’échelle de la période industrielle a utilisé le vocabulaire connu que ce soit dans le tissu valorisé, façon Haussmann, ou en contexte de production dans le «style Siedlung».
Le massacre des élites, entre autres, entre 14 et 18 puis la crise économique et le 2ème conflit mondial, ont laissé les pouvoirs publics désarmés devant le contraste entre les moyens et les besoins. La solution simplette issue d’une lecture, sans culture, des écrits du temps faisait écho à la volonté activiste et planificatrice d’un corps routier en recherche.
Il est à se demander si l’abandon des règles urbaines issues des CIAM n’est pas plus affligeant que leur adoption.
La disparition de la rue telle qu’on la connaissait alors, servant d’adresse, de lieu de vie, d’affichage et d’échange, de moyen de transports relève d’une volonté d’hygiénisme et d’efficacité. Sa réapparition marque plus la nostalgie et le cliché que la réalité. L’apparition de larges perspectives et d’espaces généreux, en échec pour raison de confusion de statuts, se transforme parfois en bastions d’appropriations «résidentialisées», puis en surfaces closes mais toujours indéterminées et sans usage. L’effondrement des tailles d’opérations urbaines ne permet plus de faire muter les sites de manière significative. Les constructions de centaines de logements bloquaient tout enracinement collectif dans le site mais celles d’une dizaine ne suffisent plus à régénérer les lieux.
La forme haussmannienne représente désormais la référence indiscutée. Apres l’échec, retour à la case précédente ! De même la cité ouvrière, vaguement redessinée mais toujours aussi composée, fait l’alternative du lotissement. Au début du XXIème siècle, il est consternant de ne pouvoir se référer qu’à des formes urbaines du XIXème. Il n’est pas question d’en critiquer l’efficacité mais l’exclusivité.
Ne pas intégrer les changements de notre société aux formes des opérations urbaines nouvelles relève de l’errement fautif mais encore faut il disposer de références.
Intégrer à la forme de la ville les soucis d’écologie, de préservation de l’eau, de l’espace, de l’énergie va fatalement conduire à hiérarchiser différemment les territoires puis les quartiers. Coïncidence : le mode d’habiter change lui aussi, la voiture recule, les manières de vivre des ménages également. Le jardin d’apparat devient d’usage, les enfants (et parfois aussi les chiens) deviennent prioritaires. La notion de sécurité évolue et devient fondamentale du choix de certains. La question de la proximité se conjugue autrement, les solidarités et la coopération se retrouvent. Les modes constructifs n’ont évolué qu’en détail mais le principe de l’immeuble, lui aussi, victime des égarements d’une fausse modernité, est à conjuguer à nouveau. Le débat démocratique a changé d’échelle, souvent local il permet de préjuger favorablement de la participation voir de la cogestion de l’espace par les habitants.
Il est temps de réinventer des formes nouvelles de les étudier, trier, choisir puis théoriser avant d’enrichir notre patrimoine collectif. Mais pour cela il faut expérimenter, et pas le sur papier mais grandeur nature. Des échecs, des erreurs, il y en aura ! Il faudra les répertorier pour les corriger et il n’est plus question d’industrialiser la conception comme il y a un demi siècle. Le risque d’une opération ne doit pas arrêter les décideurs, sinon ce serait celui de voir le phénomène urbain, tout en entier, défaillir. L’exemple des pays du Nord et la «globalisation européenne» permettent de limiter les dérapages. Les intellectuels, ceux qui ont une autorité, doivent faire taire leurs compréhensibles angoisses et sortir avec sagesse des sentiers rebattus.
Pour sauver la ville il faut faire l’apologie du changement !

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