En avant première le texte avant les dernières mises en forme.
Nos contemporains
valorisent « l’échelle humaine » et stigmatisent
« l’inhumanité » de certains lieux ou constructions en raison de leur
taille. Cependant, le château de Versailles est objectivement au-delà
d’une taille “humaine”, c’est sa fonction qui l’impose et pourtant il suscite
l’admiration. Le Corbusier élabora la question autour du modulor avec soin mais
ses constructions apparaissent, à beaucoup, « hors d’échelle ».
Le grand ensemble, invention productiviste, est
caractérisé, généralement par ceux qui ne l’habitent pas, comme inhumain. La
taille des immeubles mais surtout le monolithisme de leurs typologies et de
leurs aspects y est pour beaucoup. Tout cela date d’une autre époque, certes
récente mais mue par une autre vision de l’individualité et surtout par un
projet de société totalement différent.
Relativisons donc cette question d’échelle et de
rapport à l’humain. La question de la taille et de l’échelle serait-elle
culturelle ? Probablement mais elle se décline également de façon plus complexe;
il peut y avoir des espaces de grande intimité dans des métropoles géantes.
Avançons alors que c’est la variété des espaces et la qualité des transitions
qui font le sentiment « d’échelle humaine ». Entre l’intimité du logement
et la place publique, se trouvent les espaces de voisinages, les aménités
résidentielles et les lieux collectifs.
En droit, l’espace est de statut public ou privé mais en sociologie, il
y a quantité de statuts et de pratiques intercalaires. Une partie de la réponse
à la question s’y trouve probablement, ainsi « l’échelle humaine »
serait celle de la vie des humains.
Si l’on suit cette inclinaison, à penser
l’espace par ses pratiques, il faut reconnaître que, sans changement physique,
un lieu peut devenir « inhumain » du fait des usages qui en sont fait, de
ses habitants et de sa fréquentation. La mutation sociale d’un lieu conditionne
sa perception et son image collective.
Le concepteur et les décideurs s’en trouvent
démunis mais pas totalement ! En effet si la fonction d’un lieu est unique
le risque « d’inhumanité » est plus grand que s’il abritait plusieurs
fonctions simultanées ou successives. Ce constat amena progressivement au «
retour à la ville » il y a un demi-siècle. Désormais le concept de mixité
apparaît comme un invariant de la société, et hélas trop souvent, une recette
incantatoire. Cette mixité doit, pour être réelle, se décliner en typologie des
habitats, mais aussi des fonctions et services, en morphologies et en variétés
urbaines et en hiérarchisation des espaces publics, particulièrement des
réseaux viaires.
Si l’on veut que ces mixités, comme une
diversité biologique, soient durables il faut également qu’elles soient
mutables, c’est à dire modifiables dans le temps et dans l’espace. La tâche
n’est pas aisée car il faut rendre possible des évolutions vers des usages qui
n’existent pas encore. C’est donc généralement une position de pragmatique
modestie, loin des gestes grandioses, qui triomphe du pari.
Reste toujours la question de l’échelle, elle a
été abordée par Ildefons
Cerdà au milieu du XIXème siècle pour l’extension de Barcelone. Il
définit l’îlot, bordé par des voies publiques et composé de parcelles
indépendantes mais ordonnées. L’îlot est alors l’espace de la mixité
fonctionnelle et statutaire qui en se multipliant autour des bâtiments et des
espaces publics compose la ville. Sa taille, carrée et autour d’un hectare, se
décline toujours avec un intérieur et un extérieur. De cette façon il agence un
ensemble composite mais organisé et délimité. Suivant les densités applicables
l’ilot abrite alors de 80 à 350 ménages soit entre 160 et 1000 personnes.
Difficile d’en tirer des conclusions normatives pour un nombre d’habitants mais
instructif, avec le recul, pour déterminer des échelles collectives qui font repères.
Avant les chiffres et les calculs, la notion
d’échelle se conçoit toujours relative. Dans un bourg trois étages
supplémentaires font stigmate, dans un ensemble pavillonnaire un collectif
dénote. L’habitat intermédiaire vient
alors au secours des opérateurs et des concepteurs. Habitat individuel mais
superposé, ou assemblé, il offre l’échelle de l’individualité par un accès
propre à chaque logement et l’économie d’ensemble par le regroupement.
A ce stade on comprendra que mixité d’usages et
de pratiques dans l’espace et dans le temps, comme relativité et perceptions
des contextes demandent plusieurs regards. C’est la co-production de l’espace
urbain et de son renouvellement cher aux projets de renouvellement urbain qui
propose le processus de création. Évidemment, et c’est une difficulté majeure,
il faut abandonner les positions de magister autour du savoir, de la
sensibilité, de la prospective et des expertises d’usages. Les fonctions de
maitrises d’ouvrage et d’œuvre doivent se repenser totalement pour travailler
collectivement, simultanément et en itération.
Enfin si l’échelle humaine était également
l’échelle de l’humanité, c’est à dire simultanément individuelle et
universelle, l’algorithme serait alors plus audacieux ou tout simplement plus basique.
Un ancrage au sol, la terre nourricière, pour assumer le fait d’habiter un lieu
dans sa plénitude avec le climat, les saisons, le ciel et une part de nature.
Et simultanément générique, adapté à toutes les formes de vie humaines, en
famille, en solitaire, en combinaisons avec le travail, le loisir, le repos.
La question de l’échelle humaine traverse
également les motivations des EcoQuartiers, certes lieux de performances
environnementales et énergétiques mais aussi d’un autre art de vivre, en lien
avec des principes d’harmonie collective. Parmi ces « nouveaux
habitants » se trouvent des groupes d’autopromotion immobilière qui mixent
les statuts d’occupation des immeubles et invitent des opérateurs sociaux à y
participer. Ainsi l’échelle de la présence du logement social trouve une
déclinaison de grande proximité. Sans aller aussi loin, l’application de la SRU
instaure également son intégration dans les opérations d’aménagement parfois de
petite taille.
L’habitat est toujours une utopie, voilà pourquoi
chacun investit, et doit pouvoir investir, un morceau d’espace pour en faire le
sien propre, facteur de son identité et moteur de son appartenance à son temps,
à la planète et à l’ensemble de l’humanité. Ensemble et différent.
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