vendredi 1 juin 2018

Qualité d'usage, formes urbaines : la question de l'échelle

L'Union Sociale pour l'Habitat m'a demandé de préfacer un chapitre, d'un ouvrage à paraitre sur le question de l'échelle humaine.
En avant première le texte avant les dernières mises en forme.




Nos contemporains valorisent « l’échelle humaine » et stigmatisent « l’inhumanité » de certains lieux ou constructions en raison de leur taille.  Cependant, le château de Versailles est objectivement au-delà d’une taille “humaine”, c’est sa fonction qui l’impose et pourtant il suscite l’admiration. Le Corbusier élabora la question autour du modulor avec soin mais ses constructions apparaissent, à beaucoup, « hors d’échelle ».

Le grand ensemble, invention productiviste, est caractérisé, généralement par ceux qui ne l’habitent pas, comme inhumain. La taille des immeubles mais surtout le monolithisme de leurs typologies et de leurs aspects y est pour beaucoup. Tout cela date d’une autre époque, certes récente mais mue par une autre vision de l’individualité et surtout par un projet de société totalement différent.

Relativisons donc cette question d’échelle et de rapport à l’humain. La question de la taille et de l’échelle serait-elle culturelle ? Probablement mais elle se décline également de façon plus complexe; il peut y avoir des espaces de grande intimité dans des métropoles géantes. Avançons alors que c’est la variété des espaces et la qualité des transitions qui font le sentiment « d’échelle humaine ». Entre l’intimité du logement et la place publique, se trouvent les espaces de voisinages, les aménités résidentielles et les lieux collectifs.  En droit, l’espace est de statut public ou privé mais en sociologie, il y a quantité de statuts et de pratiques intercalaires. Une partie de la réponse à la question s’y trouve probablement, ainsi « l’échelle humaine » serait celle de la vie des humains.

Si l’on suit cette inclinaison, à penser l’espace par ses pratiques, il faut reconnaître que, sans changement physique, un lieu peut devenir « inhumain » du fait des usages qui en sont fait, de ses habitants et de sa fréquentation. La mutation sociale d’un lieu conditionne sa perception et son image collective.

Le concepteur et les décideurs s’en trouvent démunis mais pas totalement ! En effet si la fonction d’un lieu est unique le risque « d’inhumanité » est plus grand que s’il abritait plusieurs fonctions simultanées ou successives. Ce constat amena progressivement au « retour à la ville » il y a un demi-siècle. Désormais le concept de mixité apparaît comme un invariant de la société, et hélas trop souvent, une recette incantatoire. Cette mixité doit, pour être réelle, se décliner en typologie des habitats, mais aussi des fonctions et services, en morphologies et en variétés urbaines et en hiérarchisation des espaces publics, particulièrement des réseaux viaires.

Si l’on veut que ces mixités, comme une diversité biologique, soient durables il faut également qu’elles soient mutables, c’est à dire modifiables dans le temps et dans l’espace. La tâche n’est pas aisée car il faut rendre possible des évolutions vers des usages qui n’existent pas encore. C’est donc généralement une position de pragmatique modestie, loin des gestes grandioses, qui triomphe du pari.

Reste toujours la question de l’échelle, elle a été abordée par Ildefons Cerdà au milieu du XIXème siècle pour l’extension de Barcelone. Il définit l’îlot, bordé par des voies publiques et composé de parcelles indépendantes mais ordonnées. L’îlot est alors l’espace de la mixité fonctionnelle et statutaire qui en se multipliant autour des bâtiments et des espaces publics compose la ville. Sa taille, carrée et autour d’un hectare, se décline toujours avec un intérieur et un extérieur. De cette façon il agence un ensemble composite mais organisé et délimité. Suivant les densités applicables l’ilot abrite alors de 80 à 350 ménages soit entre 160 et 1000 personnes. Difficile d’en tirer des conclusions normatives pour un nombre d’habitants mais instructif, avec le recul, pour déterminer des échelles collectives qui font repères.

Avant les chiffres et les calculs, la notion d’échelle se conçoit toujours relative. Dans un bourg trois étages supplémentaires font stigmate, dans un ensemble pavillonnaire un collectif dénote.  L’habitat intermédiaire vient alors au secours des opérateurs et des concepteurs. Habitat individuel mais superposé, ou assemblé, il offre l’échelle de l’individualité par un accès propre à chaque logement et l’économie d’ensemble par le regroupement.

A ce stade on comprendra que mixité d’usages et de pratiques dans l’espace et dans le temps, comme relativité et perceptions des contextes demandent plusieurs regards. C’est la co-production de l’espace urbain et de son renouvellement cher aux projets de renouvellement urbain qui propose le processus de création. Évidemment, et c’est une difficulté majeure, il faut abandonner les positions de magister autour du savoir, de la sensibilité, de la prospective et des expertises d’usages. Les fonctions de maitrises d’ouvrage et d’œuvre doivent se repenser totalement pour travailler collectivement, simultanément et en itération.

Enfin si l’échelle humaine était également l’échelle de l’humanité, c’est à dire simultanément individuelle et universelle, l’algorithme serait alors plus audacieux ou tout simplement plus basique. Un ancrage au sol, la terre nourricière, pour assumer le fait d’habiter un lieu dans sa plénitude avec le climat, les saisons, le ciel et une part de nature. Et simultanément générique, adapté à toutes les formes de vie humaines, en famille, en solitaire, en combinaisons avec le travail, le loisir, le repos.

La question de l’échelle humaine traverse également les motivations des EcoQuartiers, certes lieux de performances environnementales et énergétiques mais aussi d’un autre art de vivre, en lien avec des principes d’harmonie collective. Parmi ces « nouveaux habitants » se trouvent des groupes d’autopromotion immobilière qui mixent les statuts d’occupation des immeubles et invitent des opérateurs sociaux à y participer. Ainsi l’échelle de la présence du logement social trouve une déclinaison de grande proximité. Sans aller aussi loin, l’application de la SRU instaure également son intégration dans les opérations d’aménagement parfois de petite taille. 

L’habitat est toujours une utopie, voilà pourquoi chacun investit, et doit pouvoir investir, un morceau d’espace pour en faire le sien propre, facteur de son identité et moteur de son appartenance à son temps, à la planète et à l’ensemble de l’humanité. Ensemble et différent.


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